Aussi incroyable que cela puisse paraître, La Bulle est le tout premier album de Timothée de Fombelle. Il nous parle de nos peurs et de la difficulté de les affronter. C’est aussi la rencontre entre son univers et celui d’une jeune illustratrice, Eloïse Scherrer. De l’imaginaire en fusion et une sacrée réussite.
« Misha ne savait pas quand c’était apparu.
Depuis qu’elle était toute petite,
ça ne l’avait pas quittée.
Même quand tout avait l’air d’aller si bien.
Même quand tout était beau.
Et le ciel si pur autour d’elle.
C’était là. Et personne ne s’en rendait compte… »
Il paraît que certains écrivains font toujours le même livre. Certains cinéastes, le même film. Seule la forme change. Avec Timothée de Fombelle, ce n’est jamais ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Prenez Tobie Lolness, et vous voyagez dans un monde miniature à hauteur de coccinelle. Prenez Vango et vous tourbillonnez autour du vaste monde, prenez Victoria rêve et les histoires se glissent dans la vraie vie, prenez Le livre de Perle et voilà l’univers des contes qui envahit la vie.
Toujours le conteur nous embarque vers l’imaginaire, un imaginaire qui prend le pouvoir sur le réel et où tout est résolu. Et ce faisant, nous le révèle dans sa beauté. C’était bien le thème central de ses deux derniers romans, et c’est aussi en filigrane celui de La Bulle.
Pour son premier album, l’auteur met en scène une petite fille. Misha est une jolie blonde aux yeux bleus grands écarquillés qui, ma foi, semble parfaite ne serait-ce un petit nuage noir qui flotte en permanence au-dessus d’elle et « même quand tout a l’air d’aller si bien. »
Au fait, c’est quoi cette bulle ? Un boulet dont on s’encombre ? Un embrouillamini de pensées tristes ? Un mauvais souvenir, un manque, une perte ? Un recoin sombre où l’on aime se réfugier ? La bulle, c’est sans doute un peu tout ça, ce qu’on pourrait nommer vulgairement « le cafard » ou le cocon de nos peurs.
Misha n’a pas la bulle au ventre, mais bien flanquée là, au-dessus de sa tête, telle une épée de Damoclès qui lui murmure « fais gaffe ma petite à ne pas trop t’endormir, je suis là, je te guette, hé hé… » histoire de ne jamais se faire oublier.
« On ne saura jamais ce qui se passa
enfin cette nuit-là.
Les grands moments de la vie
viennent toujours par surprise. »
En lisant cet album, je me suis surprise à penser qu’il aurait plu à notre cher Pierre Bottero. Une jeune et jolie héroïne qui s’en contrefiche d’être belle, qui prend son destin en main et choisi de faire ce pas de côté pour aller voir s’il y est et se le prendre à bras le corps. C’est exactement ce que va faire Misha : affronter ses peurs, se les coltiner, les regarder bien en face ! Et c’est armée d’une épée et de son ours en peluche (Michka ?) que la petite boucle d’or grimpe l’escalier de son cauchemar… pour y trouver quoi ? Un monde. Son monde, son imaginaire (des personnages cachés dans la forêt), ses ressources (un élégant cheval blanc) et ses démons (une créature cauchemardesque).
C’est ici qu’entre en scène le talent de la jeune Eloïse Scherrer qui absorbe l’univers de l’auteur et le fait sien. Car ici la vie se coltine l’imaginaire et vice versa. D’ailleurs Misha ne se sert-elle pas d’une pile de gros livres de contes pour se hisser dans sa bulle ? Ce majestueux cheval blanc qui l’attend sous l’arbre, ne jurerait-on pas une licorne ? Cette petite fille, un preux chevalier ? Cette forêt et ces lutins de pierre n’ont-ils pas l’air droit sortis d’un roman de Tolkien ou d’Alice au pays des Merveilles ?
L’illustration classique et foisonnante d’une facture anglo-saxonne donne toute son épaisseur à ce texte mince qui appelle entre les lignes à tous les possibles. De retour d’un voyage autour de ses peurs, Misha sait qu’on en revient. Sereine. Les peurs sont potentiellement là, mais elles se traversent. Surtout, il y a la vie. Pleine et belle quand on a l’âge de Misha, avec tout à construire.
Comme à son habitude, Timothée de Fombelle nous emmène au bord du monde. On part loin, et on en revient transformé. Emmenez vos enfants sur la planète Misha… une expérience apaisante et forte.
le site d’Éloïse Scherrer
La Bulle
Thimothée de Fombelle, ill. Éloïse Scherrer
Gallimard jeunesse, 48 p., 14,50 €
Dès 5 ans
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