Edouard Manceau devrait être le héros des tout petits ! Album après album, l’auteur illustrateur creuse le sillon d’une vaste œuvre (une centaine de livres !) destinée aux moins de cinq ans. Car il est un magicien de l’image. Il les prend, les retourne, les détourne, les contourne, les interroge, et leur fait raconter mille et une histoires.
Peut-on tout faire dire aux images ? Edouard Manceau, oui. Un magicien, je vous dis !
J’ai trouvé quatre images.
Je les ai ramassées, je les ai regardées,
elles m’ont raconté l’histoire d’un tout petit roi…
… un tout petit roi qui rêvait de partir à la guerre.
Dans Histoires sans fin, l’auteur illustrateur nous propose quatre images à partir desquelles il fait la démonstration qu’on peut imaginer tout ou presque (mais pas n’importe quoi).
Le manteau, les bottes, l’écharpe ou la couronne du tout petit roi, deviendront en les changeant de position ou de couleur, un chien, un tigre, un serpent qui s’évadent du zoo pour se réfugier chez le loup…
Puis une tout petite maison aux deux lutins, un chemin creusé dans la forêt qui aboutit au château du tout petit roi.
Quatre images, quatre couleurs, des combinaisons infinies… Secouez, mélangez de nouveau les images et le petit lecteur est invité à imaginer sa propre histoire. Il apprend ainsi qu’en lisant, il crée son propre chemin, sa propre vision des choses… D’aucuns verront un château quand d’autres y verront des montagnes.
Cette entreprise de décorticage de l’image, Edouard Manceau l’avait amorcée dans Histoires sans queue ni tête, un coffret contenant quatre albums fonctionnant comme une entreprise de démolition/reconstruction de l’image où le livre se construisait sous nos yeux, en direct. Tout est dans tout selon l’artiste ! Il n’y a qu’à prendre des papiers de couleurs et des ciseaux. Dans ces histoires sans paroles, on découpe les images, on les assemble autrement, et voilà un cirque petit à petit démonté, qui remonté devient le camion du cirque. Le jour devient la nuit et le Monsieur rangé dans une malle, en ressort abracadabra… en une Dame ! C’est malin, drôle et bluffant.
Avec ces Histoires sans fin, Edouard Manceau est la preuve vivante que rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Alors j’ai eu envie d’en savoir plus sur son travail :
Vous dites qu’un livre doit être vivant.
C’est quelque chose qui est toujours présent dans ma démarche. Dans Histoires sans fin c’est particulièrement le cas. Au final, ce sont mes lecteurs qui rendent ou pas les livres vivants. Mais je veux faire pour les enfants des livres qui leur parlent d’eux, pas des livres qui leur parlent des autres… Je les veux acteurs car être un lecteur c’est être un acteur. Il y a, à ce sujet, une phrase d’Henry Miller à propos du clown. « Le clown c’est le poète en action. Il est lui-même l’histoire qu’il joue ». Voilà ce que j’essaie de donner aux enfants. Il faut qu’en tant que lecteurs, ils jouent profondément.
Comment est née cette idée de raconter des histoires différentes avec quatre mêmes images ?
Nous avons chacun une lecture et une interprétation très personnelle des images. Je voulais parler aux enfants du pouvoir des images, de leur fragilité et du fait que, parfois très peu de choses peuvent tout changer. Leur montrer que nous avons, devant une même image, des lectures différentes. Leur montrer enfin que les images ont un pouvoir sur eux.
Avez-vous raconté Histoires sans fin à des enfants de maternelle ?
Oui ! Et ça a été fort. J’ai vu beaucoup de questionnements dans leurs yeux. A la fin du livre, chacun d’entre eux ne voyait pas les mêmes choses sur l’image que nous regardions ensemble. Mon travail trouvait ici une écoute. Ça fonctionnait. Devant une image pourtant très simple en deux couleurs, ils se sont rendu compte qu’ils ne voyaient pas la même chose. C’est formidable de voir des enfants s’éveiller à ça.
Voulez-vous leur faire passer l’idée que le livre serait un peu magique ?
Quand je les rencontre dans quelque structure que ce soit, écoles, médiathèques, instituts français à l’étranger, lycée français, salons du livre, avec ou sans leurs parents, j’ai toujours la volonté de leur faire prendre conscience de ce qu’est un livre. A savoir que c’est un objet qui fait voyager des idées de la tête d’un auteur à la tête d’un lecteur. Et que ces deux-là, auteur et lecteur, qui ne se connaîtront jamais physiquement sont pourtant dans une vraie intimité. Alors oui, un livre devient magique. Pour cela, il faut cependant que l’auteur et le lecteur soient d’une honnêteté sans faille. Rien ne m’agace plus que le cynisme dans la littérature dite de jeunesse.
En matière d’album pour les petits, du minimalisme naîtrait le merveilleux ?
Faire simple c’est compliqué. Quand on dit que la vérité sort de la bouche des enfants c’est une manière de dire qu’ils ont ce pouvoir d’aller toujours au plus évident. Les enfants voient les évidences que les adultes oublient souvent. C’est ma nature d’essayer de faire simple, lisible, minimaliste. Mais d’essayer de ne jamais être simpliste.
Picasso a dit qu’il lui a fallu « toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ». C’est une phrase que j’aime tout particulièrement. De la même manière, on pourrait dire qu’il faut travailler beaucoup pour arriver à l’évidence, à la simplicité.
Comment naissent les idées ?
De l’observation du monde. Je suis un lecteur assidu du monde qui m’entoure. J’adore observer les gens dans les aéroports ou les gares, et partout dans la vie. Contempler tout le merveilleux et toute la bêtise du monde. Puis tout ça mijote. Et un jour une histoire, une idée me tombe dessus. Il faut laisser venir les histoires. Elles sont bien trop souvent fabriquées dans la grosse production de la littérature de jeunesse et ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Pour ma part, c’est quand le livre est terminé que je sais, que je comprends de quoi je voulais parler.
Quelle est votre technique de prédilection ?
J’ai une démarche plus proche de celles des peintres que de celle des illustrateurs. Je m’intéresse plus à des artistes comme Alexandre Calder par exemple qu’à des illustrateurs. Ma démarche est d’ailleurs globale. Je fais un livre. Pas un texte que j’illustre ensuite. Ce que je veux c’est faire un livre. Ma démarche est donc venue de la peinture et de la forme. Aussi je découpe des formes dans du papier ou avec un stylet numérique sur l’ordinateur. Mais c’est bien ça en ce moment qui guide mon travail. Des formes. Pas du trait.
Vous travaillez aussi sur un spectacle ? En quoi cela consiste-t-il ?
Actuellement je travaille, je réfléchis à la mise en forme d’un spectacle de danse contemporaine nourri de musique indienne. C’est à l’état de projet. C’est pour moi une évidence, il s’agit de raconter une histoire. C’est ça mon travail profond, que ce soit dans un livre, devant des enfants ou sur une scène : raconter des histoires.
Votre prochain livre ?
C’est un livre qui me tient énormément à cœur et qui sortira aux éditions Milan en septembre prochain. Il s’intitule Le petit curieux et il s’agit d’un livre qui a pour but d’aider les enfants et, plus globalement les gens, à lire le monde qui nous entoure… Il va être très surprenant tant dans le fond que dans la forme. Cela fait dix ans que cette idée mijotait.
Voir le site d’Edouard Manceau
Histoires sans fin
48 pages, Seuil jeunesse, 13 €
Laisser un commentaire