Joëlle Ecormier aborde avec finesse la difficulté d’accepter le deuil pour un adolescent dont le père a disparu en mer. Kô est un petit bijou, ciselé de poésie. Il a obtenu une mention spéciale du Prix Vendredi.
« Kô n’aime pas l’océan. Il ne l’a jamais aimé. Peut-être a-t-il toujours su au fond de lui que la mer portait son malheur comme elle porte les bateaux. Il serre les poings puis les ramène sous son menton, prêt à donner ses coups de boxeur. Les mots de sa mère font barrage : « La mer nous nourrit, on ne peut la maudire. » Il laisse retomber ses bras et se contente de défier l’Océan du regard.
Les yeux noirs de Kô ne quittent presque jamais l’Indien. Même hors de sa vue, la nuit pendant son sommeil, quelque chose lui guette les flots. « Ne tourne jamais le dos à l’Océan ou il te prendra au moment où tu t’y attends le moins. » Son père lui avait donné ce conseil, s’était pourtant fait prendre. Kô se souvient que c’était un vendredi. Le jour de l’effondrement de l’univers, l’arrêt de la danse des étoiles et du mouvement de toutes choses. »
Le regard de Kô est happé par l’Océan. L’adolescent de seize ans scrute au loin le moindre signe de vie de son père, disparu au large. Mais ce matin, il s’est passé une chose merveilleuse, la mer lui a envoyé un petit paquet entouré d’un délicat ruban blanc. A l’intérieur, une libellule aux ailes de jade. Kô offre la broche à Sindhu. Sa sœur a désormais l’âge de porter un sari et de souffler ses treize bougies sur le gâteau à la rose que confectionne Nila, leur mère. Cette broche envoyée par l’Océan, c’est bien la preuve que leur père est quelque part, le petit paquet blanc qui parle de lui-même.
A la recherche permanente de signes de vie de son père, Kô s’enferme dans ce déni absolu, la certitude qu’il a été simplement empêché de revenir. La mère, taiseuse depuis que son mari est mort, regarde ce fils qui dérive, enfermé dans un silence fragile.
Et puis un jour, la mer ramène plusieurs objets sur la plage, un panda en peluche, un sac à dos… Kô cherche la signification de ces nouveaux signes obscurs. En attendant de les déchiffrer, il les dissimule sous une bâche dans le cabanon familial, non loin.
Sindhu s’inquiète pour ce frère obstiné qui s’isole dans sa douleur, elle l’épie. En jouant la veille au pachisi, elle pense : « On est protégé des autres joueurs sur les cases refuges. Mais tant qu’on est là, on n’avance pas. » Elle a accepté la disparition mais ne sait comment délivrer son frère de ce poison.
Un autre jour, un déchet pas comme les autres a échoué sur la plage. Une aile d’avion. Les signes deviennent de plus en plus abscons pour Kô qui s’obstine à ne pas voir la réalité… Le journal, la radio racontent les débris en mer, un accident d’avion… tout s’explique.
Un étranger scrute la mer au loin. Lui aussi attend des réponses. Sa femme et son petit garçon étaient dans l’avion abîmé en mer l’an passé, il est venu jusque-là soigner sa blessure. Darpan est la réponse à l’attente de Kô, comme un double inversé. L’adolescent attend un père au-delà des morts et voilà qu’un vivant qui veut faire son deuil lui demande de l’aide. Saura-t-il y répondre ?
Ce roman puissant de Joëlle Ecormier publié dans une petite maison d’édition réunionnaise a la douceur nostalgique d’une pluie de fin d’été. Elle verse en nous sa petite musique, sa fragile douleur et une infime lueur d’espoir. On puise dans la force des femmes, on compatit avec l’impossible acceptation et on espère que le jeune homme voit le réel dans le vert translucide de la mer.
Parfois à la limite du conte par son intemporalité, son phrasé et sa sagesse, ce très beau texte nous apporte aussi une dimension spirituelle et nous relie au monde contemporain en y faisant intervenir les médias, la justice et le libre arbitre.
En nous plaçant dans la peau et la tête de Kô, l’auteure met le lecteur dans l’empathie du chagrin et le dilemme de sa conscience. Elle souffle aux ados que rien ne vaut plus que la vérité, quelle que soit la douleur. Et qu’accepter de partager sa peine, c’est sans doute guérir un peu. Un très grand texte à mettre entre les mains de tous les adolescents.
Kô
Joëlle Ecormier
110 p., Zebulo, 11 €
(dès 13 ans)
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