Les Vermeilles de Camille Jourdy, est un fabuleux voyage couronné par la Pépite de la Bande dessinée au Salon du livre de Montreuil en novembre dernier. Il vient de remporter le Fauve Jeunesse 2020 au Festival de la BD d’Angoulême. Mérité !
« Jo ?
– Où est-elle encore passée ? Elle peut pas tenir en place…
– Je l’ai vue prendre un sac et des tonnes de biscuits. Si ça se trouve elle a fugué, vu qu’elle nous déteste.
– Tu parles, elle est bien trop pot de colle pour aller loin.
– Nelly !
– Elle est pénible en ce moment. Tu ne t’éloignes pas trop, ok ?
(…)
– Je rêve d’une limonade bien fraîche, pas toi ?
– Avec des tonnes de glaçons
– Parle moins fort !
– Et une part de tartes aux cerises…
– C’est toi la tarte.
– … Avec de la chantilly
– Ca alors ! Vous êtes des lutins ?
– C’est qui celle-là ?
– Je t’avais dit de parler moins fort. Pourquoi faut-il toujours qu’on nous traite de lutins…
– J’étais sûre que vous existiez.
– Super, mais fais plutôt comme si on n’existait pas…»
Le ton est donné. Un vieux couple de lutins qui se prennent le chou tout en cheminant tranquillement à mini-poney… voilà de quoi intriguer Jo, la petite fugueuse qui les suit jusqu’à un tunnel non sans rappeler le trou noir dans lequel tombe une célèbre Alice.
Au bout du tunnel, la forêt s’épaissit. Là, vivent non seulement les lutins, mais aussi un cyclope, toutes sortes d’animaux, Nouk, l’enfant à oreilles de chat et sa cabane dans les arbres, il y aussi Maurice le renard qui parle ! Tout un monde dont Jo va bientôt devenir l’une des héroïnes.
La tribu entière se prépare à délivrer certains de leurs amis dont la maman de Nouk, tous prisonniers du grand Matou. L’Empereur, un gros chat mal luné, fête son anniversaire en son château où il donne un fabuleux mal masqué.
Cachés dans un gros gâteau, les amis débarquent au palais, pour tenter d’atteindre les geôles. Mais cela ne se passera pas exactement comme prévu, l’opération échoue en partie à cause de Jo. La petite gaffeuse réussit à s’échapper avec Maurice, qui bon gré, mal gré, fera route avec elle.
Pour sa première bande dessinée jeunesse, Camille Jourdy – auteure remarquée de la trilogie Rosalie Blum, adaptée au cinéma par Julien Rappeneau avec Noémie Lvovsky dans le rôle-titre – réalise un coup de maître. Inspirée par l’univers de la forêt où elle a pour habitude de faire des fêtes en famille, Camille Jourdy bâtit un monde à multiples facettes, comme un gigantesque jeu de piste.
La petite Jo fuit sa famille recomposée et chemine, pipelette, avec ses nouveaux compagnons de route : un renard, un chien à six pattes aux longs poils blancs et aux bottes en caoutchouc arc-en-ciel. L’illustratrice explore les jeux entre enfants, les rapports de force où chacun, avec son petit caractère bien trempé, tente à la fois d’imposer ses choix mais doit réussir en équipe.
Les Vermeilles est un délice d’aventures pour les petits, truffé de références pour les plus grands, on rencontrera au fur et à mesure du cheminement de la blondinette des hommages à Lewis Carroll, mais aussi à Peter Pan, Rantanplan ou encore à Boucle d’or et les trois ours, savamment ditillés dans les décors.
On se régale à déambuler d’une forêt luxuriante à un pont fragile au-dessus d’un ravin, puis à traverser des marais peuplés de monstres non sans rappeler les affreux RTI, les « Rats de taille inhabituelle » du film Princess Bride. On se laisse porter par cet univers enchanteur qui alimente notre imaginaire et nos peurs avec de jolies trouvailles, telles les Vermeilles, poneys repeints aux couleurs pastels qui perdent leurs couleurs en captivité, ou encore comme le jeu des Petits chevaux, grandeur nature, dont les prisonniers sont les acteurs.
Les Vermeilles est une invitation au jeu et à l’enfance, une aventure en forme de jeu de l’oie géant, avec ses cases forêts, sa case bal masqué, sa case maison perdue, sa case prison… En cheminant, Jo se confronte à des expériences, comme un parcours d’apprentissage, avec ses personnages fantasques, ses animaux fantastiques, ses missions à accomplir… De petite fille agacée et parfois agaçante, Jo va se révéler, s’affirmer, trouver sa place et devenir aidante.
Ouvrir Les Vermeilles, c’est plonger dans un vrai livre d’enfance dont on ne veut plus s’échapper. C’est tomber nez à nez avec Peter Pan, un poney bleu qui parle, un garde qui pue du bec, deux vieilles pipelettes qui jactent d’amour ou un papillon merveilleux. C’est plonger dans un ravin, sauter à cloche pied sur des rochers ou danser dans un bal masqué somptueux.
Avec sa palette très colorée, Camille Jourdy nous embarque tout en douceur pour une traînerie dans son petit monde. On part à l’aventure, on tremble, on se lie d’amitié et puis au bout du bout, on rentre chez soi, le cœur content, grandi de ces aventures foisonnantes. A lire, relire et rerelire.
Le blog de Camille Jourdy.
Les Vermeilles
Camille Jourdy
156 p., Actes Sud BD
21,50 €
(dès 7 ans)
Marion Doucet dit
Je trouve que les romans d’apprentissages sont parfois un excellent moyen de se former à la vie. Aussi quand ce roman est une B.D, cela permet de ne plus avoir les barrières de la langue propre au tout petit. Cela permet aussi de rassurer le lecteur sur le nombre de pages à lire, puisse que, le volume d’un roman peut en décourager certains.