Connu des ados comme maître de la fantasy, Erik L’Homme signe avec Le Regard des Princes à Minuit un objet littéraire audacieux et passionnant dont tous les ados devraient s’emparer. Sous forme de sept histoires, construites comme autant d’épreuves, l’auteur leur propose une initiation contemporaine aux valeurs de la chevalerie.
L’auteur à best-seller (eh oui ! 1 100 000 exemplaires de livres vendus en France et sa trilogie Le livre des étoiles traduite dans 28 pays) les encourage ici à l’introspection, à l’honnêteté, au face à face avec soi-même, au respect des femmes… un sacré programme ! Rencontre à quelques encablures de la flèche de Notre-Dame qu’il a, comme ses héros, escaladée.
Comment en êtes-vous arrivé à écrire sur ce sujet de la chevalerie ?
Je suis historien médiéviste de formation. Passionné de Moyen Age depuis toujours, j’ai été élevé à la matière de Bretagne, les romans de la Table ronde. Par choix, dans ma famille, il n’y avait pas la télé. Mon père et ma mère se relayaient pour nous lire des histoires. Ma mère s’était spécialisée dans les romans au long cours comme Nils Holgersson, nous lisant un chapitre chaque soir, et mon père dans la mythologie, les contes et légendes. Toute mon enfance était baignée par cette idée de chevaliers, d’épée magique, de personnages appelés par un destin… Cela faisait longtemps que je tournais autour de ce sujet qui me tenait à cœur depuis que je suis enfant et je ne savais pas comment l’aborder. Ce petit livre est important pour moi mais il a été le plus difficile à écrire!
Une nuit de bivouac en forêt de Brocéliande, le sabotage d’un relais de télévision, un commando de danseurs sur un parking, une voiture piégée… vous situez les épreuves dans un contexte très contemporain.
Cela peut paraître étrange, on peut se demander : mais quel rapport avec la chevalerie ? Mais ce sont les valeurs – le courage, l’honnêteté, le respect de la femme… – que contiennent ces histoires qui sont typiquement des valeurs chevaleresques. Le livre auquel je fais allusion dans mon texte, Les sept bacheliers ou l’épreuve périlleuse, est inventé, mais il est écrit « à la manière de ». Avant de me lancer dans l’écriture, j’ai relu tout Chrétien de Troyes et me suis directement inspiré de ses romans, jusque dans le style. J’ai ritualisé les épreuves à partir de ce texte inventé, et cela m’a permis d’adapter les messages à mon propos. Je me suis amusé, comme je le fais toujours dans mes livres, à mélanger des morceaux de réalité et des morceaux de fiction. D’ailleurs, les sept messages mis en gras dans le texte sont directement tirés du discours du roi Marc à Tristan.
Ces épreuves, c’était un rituel ?
On ne peut pas comprendre le Moyen Age si on l’extrait du monde symbolique dans lequel vivaient les gens à cette époque. Tout y était extrêmement symbolique. Le bachelier, futur chevalier, devait partir sur la route, un peu comme on quitterait la demeure familiale aujourd’hui pour aller faire ses études, pour se frotter au monde, du moins c’est ce qu’on devrait faire !
Pourquoi l’épreuve du combat ?
Toutes ces expériences, je les ai vécues. Je suis moi-même boxeur, ce sont des moments où tu ne peux pas tricher, où tu ne peux pas t’abriter derrière un discours… si tu ne montes pas ta garde, tu te prends un pain dans la gueule et ça fait mal. C’est un contact avec le réel qui est symbolique : on est nu on avec soi-même, on ne peut pas s’échapper ou alors on ne pourra plus se regarder dans la glace. On sort transformé de ces moments où l’on affronte les choses pour de vrai. D’autant plus lorsque l’affrontement est « chevaleresque » car à la fin tout le monde t’applaudit, même si tu as perdu. Et on te félicite pourquoi ? Parce que tu n’as pas refusé l’obstacle. Tu n’as pas triché.
Pourquoi ce livre arrive-t-il maintenant ?
Je n’aurai pas pu l’écrire avant aujourd’hui. Il me semble que c’est une époque où il prend toute sa place. Vingt ans plus tôt, ces histoires n’auraient rien signifié. Une certaine forme de galanterie, de respect de la femme auparavant allait de soi par exemple. Aujourd’hui ce n’est plus le cas et pour moi les danses, comme ici la mazurka, sont la plus belle manifestation des liens qui peuvent unir un homme et une femme en dehors du lien de l’amour.
Ce passage marqué de l’adolescence à l’âge adulte, ça manque ?
Il n’y a plus d’initiation. A partir du moment où l’on décide que 85% d’une tranche d’âge aura son bac, où est le critère ? Je pense qu’il n’y a plus les repères aujourd’hui pour un garçon pour devenir un homme, et de la même manière, il n’y a plus les repères pour une jeune fille pour devenir une femme. C’est aussi ce qui m’a donné envie d’écrire ce livre. Avec la série A comme association, j’ai rencontré beaucoup de lecteurs sur les dédicaces, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas des treize-quatorze ans qui viennent me voir, mais des jeunes qui ont entre seize et vingt ans. Et j’ai été extrêmement frappé, voire presque triste, de constater à quel point ils étaient en recherche de sens.
D’où l’idée de leur transmettre ces valeurs ?
Ce n’est pas un manifeste, je suis romancier ! Je raconte des histoires mais si à travers les histoires que je raconte, j’arrive à mettre suffisamment de sincérité, de profondeur et de sens. Et si mes lecteurs trouvent à l’intérieur quelque chose qui leur parle, qui les aide, je suis ravi.
Je m’adresse depuis que je suis publié à un public qui s’appuie sur les livres pour grandir et c’est ça qui m’intéresse. Les aider à grandir, les aider à devenir ce qu’ils doivent devenir.
Avec ce livre, vous allez surprendre vos lecteurs, vous prenez un sacré risque !
Oui. Pour la première fois, avant d’envoyer mon manuscrit à mon éditeur, je l’ai fait lire à quatre ados que j’avais rencontrés lors de déplacements, de dédicaces et avec qui je m’étais bien entendu. Trois filles et un garçon entre la Seconde et la Terminale. Je leur avais envoyé mon texte d’une part en leur demandant de garder le secret et, d’autre part, de me faire un premier retour, puis trois semaines après, de me faire un deuxième retour. En effet, le livre les a tous surpris, ils n’avaient jamais lu un truc comme ça ! D’une manière générale, deux filles sur trois n’avaient pas aimé l’épreuve du combat, mais elles avaient bien aimé la danse. Les quatre ont adoré l’escalade de Notre-Dame et ont été très intéressés par le sabotage du relais télé. Cela leur a paru très étrange car c’est une génération qui vit entourée d’écrans.
Mais trois semaines après, le retour était le même pour tous : le livre ne les a pas excités au départ, mais il reste. Ca trotte dans leur tête…
Le livre est un peu plus masculin que féminin tout de même ?
C’est vrai. Même s’il n’y a jamais eu de femme chevalier, j’ai réfléchi aux filles de caractère que je connaissais et je me suis dit qu’elles faisaient parties de cette nouvelle chevalerie. La chevalerie est un esprit, une attitude, un comportement c’est pour cela que j’ai voulu symboliquement commencé par cette histoire de femme qui initie un garçon assez brut, à ce rapport que l’on peut avoir avec des femmes qui est autre qu’un rapport de conflit, de soumission ou de séduction systématique. Mais je ne me suis pas senti en droit de raconter l’histoire de femmes chevaliers. J’avais besoin du rapport de maître à élève, il y aurait pu y avoir une femme avec un garçon qui l’emmène dans la forêt mais cela n’aurait pas été de la chevalerie, cela aurait été quelque chose de l’ordre du féérique.
Pourquoi avoir choisi une soirée « sans télé » et pas « sans Internet » ?
Le monopole officiel de l’information est encore détenu par la télévision. J’aime bien Internet, on y trouve le pire et le meilleur. On y trouve tout mais dans ce « tout », je m’y sens bien. La télé on n’y trouve pas tout, on y trouve la même chose. Internet, c’est un peu comme un grimoire de magicien, une boule cristal dans laquelle il y a tout le savoir du monde mais si on n’a pas les clés on n’en retire rien. Je regrette que les jeunes aujourd’hui ne soient pas formés à aller sur Internet, qu’ils n’aient pas tout l’appareil critique pour s’y rendre.
Le passage sur la méditation en forêt, c’est un clin d’œil aux ados hyper connectés ?
Comme je le disais plus haut, écrit il y a vingt ans, ce livre n’aurait pas eu le même sens. Le garçon va dormir à la belle étoile, bon et alors ? Quand j’étais ados, je comptais les nuits où je dormais dans ma chambre ! Aujourd’hui marcher de nuit dans une forêt, être coupé de tout ce qui fait la vie artificielle des jeunes d’aujourd’hui, se retrouver face à quelqu’un qui va vous poser des questions aussi brutales qu’une confrontation sur un ring : « D’où viens-tu, où vas-tu, qu’est-ce que tu veux faire ? » Là, impossible de s’échapper sur les réseaux…
A part Chrétien de Troyes, quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Quand j’étais ados, il y avait la collection Signes de piste, Le Prince Eric, Les Chroniques du pays perdu et tout ce qu’on appelle les romans scouts, ça m’avait emballé ces histoires d’ados, sans l’ombre d’un parent, qui partaient faire des feux de camps, se battre dans la forêt… Parmi ces romans, l’un d’eux m’avait marqué, Le foulard de sang, une série d’histoires de Jean-Louis Foncine qui se déroulent pendant la guerre et qui mettaient en scène des jeunes qui luttaient à leur manière contre l’Occupation. Ils faisaient de la Résistance mais sans être Résistants. Un groupe de jeunes de nuit, grimpait sans se faire voir jusqu’à un fortin tenu par des Allemands pour changer le drapeau germanique par le drapeau français. Ce sont des trucs de gamins mais éminemment symboliques. C’était une époque où on ne plaisantait pas, mais malgré tout, on allait faire des actes avec un esprit de panache, un peu à la « Cyrano ».
Le courage est une des valeurs que vous défendez dans ce livre.
Toutes ces valeurs, j’ai l’impression de les faire passer depuis le départ. Tous mes personnages, à travers leurs aventures essaient d’être courageux, loyaux envers leurs amis, dignes de confiance, ce sont des choses que j’ai hérité des héros de mes lectures. Mais les années passées ont contribué à mettre en évidence le fossé qui pouvait exister entre la vie qu’on vit tous les jours et puis cette vie extraordinaire des héros que les livres nous racontent.
Ce livre, c’est donc la tentative de jonction des deux ?
Il y a des choses qui paraissent évidentes quand on est enfant et qu’on les lit dans un roman et qui le deviennent moins quand on est plus âgé et qu’on est amené à les éprouver dans la vraie vie. Le véritable courage selon moi, c’est de se décider à suivre son propre chemin, de se détourner des sirènes. J’imaginais bien, en rédigeant la note d’intention, ce système omniprésent qui nous entoure et qui nous donne l’illusion du choix. Mais quand on élimine tous les voiles d’illusion, on se rend compte que cela consiste à être un consommateur dans une vaste société de marché dans laquelle il faut absolument ne rien dire, ne rien penser. Ce système, j’aime à l’imaginer comme une sorte de monstre indestructible qui dit « Viens m’affronter », tandis que nous sommes là, tout petits. Le système finit toujours par intégrer les révoltes si on se jette contre lui : il nous prend, il nous broie et il nous mêle à sa propre chair. En fait, j’aime cette idée du petit personnage qui regarde le système, qui lui tourne le dos et qui s’en va. Et cela rend le système fou furieux. Parce qu’on lui échappe. Tous mes personnages, à leur façon, tournent le dos au système et le rendent hystérique.
Quelle cause les jeunes pourraient-ils défendre aujourd’hui ? La dernière, c’était Leonarda.
Ce sont des révoltes que le système leur tend pour que les jeunes viennent y puiser leur énergie à l’intérieur. Ce sont des voiles d’illusion. Le système lance ses fausses révoltes en faisant passer des vérités subjectives pour des vérités objectives. Leonarda méritait-elle qu’on se mobilise pour elle ? La réponse est non. Après, il y a d’autres questions : à quoi sert l’école ? A quoi sert l’éducation ? Mais celle qu’on a tendue aux jeunes était la moins dérangeante pour le système. On tombe tous dans les pièges qu’on nous tend.
Le voyage fait partie de votre construction. Pourquoi ne pas l’avoir mis comme l’une des épreuves ?
Parce que mon voyage au départ était une fuite. J’ai eu la chance d’être dans un environnement suffisamment exceptionnel pour retomber sur moi-même. Mais tant que l’on n’a pas réglé un certain nombre de choses, je pense que tout voyage est une fuite.
Pourtant, ce livre est une sorte de voyage, car c’est le regard qui change. Quand on regarde Paris du haut de la flèche de Notre-Dame, on n’est plus à Paris, on est ailleurs. Quand on regarde ses rapports avec les autres dans un gymnase surchauffé en train de se ramasser des coups, quand on imagine ce qu’on attend des femmes en dansant une mazurka sur un parking, c’est encore différent. Ce qui est important c’est le regard qu’on porte sur les choses, maître Qadehar dans Le livre des étoiles ne dit pas autre chose. On peut partir à l’autre bout du monde et puis rester chez soi, si on part avec son regard habituel, si on ne va pas à la rencontre du monde. Mais si on va se frotter au monde, on va le changer subtilement par la façon dont on va l’aborder. C’est l’effet papillon.
Après Des pas dans la neige et ce livre, vous vous éloignez de plus en plus de la fantasy?
Je vais mentir car le prochain projet sera une trilogie de fantasy pour les pré-ados ! C’est vrai que je suis de plus en plus attiré par ce genre de récit. Le Regard des Princes à Minuit est un livre très important pour moi, mais en tant que raconteur d’histoires je suis frustré parce que mon imaginaire n’a pas pu s’ébattre au milieu de royaumes inventés, de filles à sauver, de monstres à combattre (rires). Je pense que je vais arriver à cet équilibre d’écriture entre des fictions pour les 10-15 ans et des livres qui vont essayer de contribuer dans leur modeste mesure à être apporteur de sens. Des pas dans la neige, en regard des chiffres de ventes est ridicule comparé au Livre des étoiles. Mais avec les retours que des lecteurs m’en ont faits, je sais que je ne l’ai pas écrit pour rien.
Le Regard des Princes à Minuit
Gallimard jeunesse
140 p. Gallimard jeunesse, 8 €
(copyright photos : C. Helie)
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