Hubert Ben Kemoun raconte avec justesse les dilemmes d’une lycéenne acculée à agir à l’encontre de ses idées afin d’intégrer la bande populaire du lycée. Jusqu’où ira-t-elle ? Une situation délicate dans laquelle nombre d’adolescents se reconnaîtront.
« Le vigile du magasin Pom Pom Girls est le genre de rugbyman que personne n’aurait eu envie de croiser la nuit dans la rue. Je dis ça parce qu’avec son costume de croque-mort, ce genre de masse qui tutoie les deux-mètres et le quintal aurait parfaitement sa place devant l’entrée d’une boîte de nuit pour accorder ou pas le droit au « Sésame ouvre-toi » à qui lui revient. (…)
Ce type a… comment dire… ? Une tête à puer de la bouche. Je sais que c’est nul comme verdict, mais c’est la première chose qui me vient en le regardant. Et moi ? Est-ce que j’ai la tête ou la dégaine d’une voleuse ?Un peu. Enfin j’espère. Seulement moi, c’est fait exprès… »
Mathilde est devenue comédienne de première catégorie pour aider ses deux copines Camille et Selma à voler dans les magasins. Les deux donzelles ont fait des boutiques de fringues leur terrain de jeu favori. Pour la mode mais surtout pour la montée d’adrénaline ! Quant à Mathilde, les fringues elle s’en fiche, la raison pour laquelle elle est prête à se compromettre est tout autre. Si elle est devenue complice des kleptomanes, c’est pour gagner leur amitié, être intégrée au groupe des filles populaires de la classe. Être de la bande. Car au lycée, tout devient compliqué quand on n’en est pas… Mathilde l’a bien compris. Alors elle est prête à prendre de gros risques à l’extérieur du lycée pour avoir la paix sociale à l’intérieur.
La kleptomanie est devenue son sport. Un jeu dangereux. Surtout que Mathilde a deux facettes. Donc un gros problème. Car elle adore le français et surtout sa prof, Geneviève Charpentier qui parle d’Emma Bovary comme personne. Et apprécier un prof, quand on est de la bande, c’est plutôt mal vu.
La schizophrénie a ses limites. Tout se complique lorsque l’adolescente se retrouve chez les flics, lâchée par ses complices, qu’elle déçoit à la fois sa mère et sa prof qui la croise dans la rue au mauvais moment. Comment peut-on décevoir la personne que vous admirez le plus ? Tout s’accélère lorsque Marius, le BG de la bande, s’en prend (très) lourdement à Geneviève Charpentier pour amuser la cantonade. Et quand les réseaux sociaux s’en mêlent et qu’un petit rien fait accuser Mathilde « On passe si vite de suspect à coupable au tribunal de rumeur d’un lycée comme le mien. » Comment la jeune fille va-t-elle s’en sortir ? Tout à coup le monde entier semble contre elle : regard des lycéens, de sa mère, des profs… C’est beaucoup trop grand pour elle.
A force de vouloir « en » être à n’importe quel prix, on peut se retrouver très très seule. Et se rendre compte qu’elle était hors de prix cette amitié. Il faut parfois un pas de côté pour regarder au fond de soi et autour de soi, il y a toujours une main tendue. A condition de savoir la saisir.
Le prolifique Hubert Ben Kemoun – plus de deux cent livres à son tableau de bord ! – aborde le sujet du dilemme adolescent et ses dérives inévitables, avec une très grande justesse. Entre jeu social et réalité intime, comment rester soi-même est donc le sujet profond du livre. A travers le portrait très réaliste et attachant de Mathilde, l’auteur dénonce le harcèlement, un problème de société contemporain réel, violent auquel ados, profs, parents sont malheureusement souvent confrontés. Au-delà de toutes les injonctions cruelles de la tyrannie du groupe dominant, avoir le courage de rester soi-même est souvent hors de portée des ados. La réponse n’est pas simple, il faut de la lucidité, du courage, sortir de sa solitude, parfois accepter sa différence et de l’aide pour riposter. Et combattre coûte que coûte la mécanique morbide du harcèlement.
Les fins de MOI sont difficiles
Hubert Ben Kemoun, illustration de couverture Cécile Becq
182 p., Flammarion, 14 €
(dès 12 ans)
Laisser un commentaire