Noémya Grohan raconte dans un livre poignant ses années collège lorsqu’elle fut victime de harcèlement. Avec De la rage dans mon cartable, la jeune femme est enfin sortie du silence pour se reconstruire et pour donner le courage de parler à tous ceux qui n’osent pas le faire. En France, un élève sur dix serait victime de ce fléau.
Solitaire par défaut
Démolie par les mots
Leur mot d’ordre n’est pas beau
C’est « tolérance zéro »…
C’est un livre confession. Un témoignage poignant d’une jeune femme d’aujourd’hui vingt-cinq ans, harcelée tout au long de ces quatre années passées au collège de la Sine, qu’elle surnomme « le collège t’assassine ».
Cela a commencé dès l’entrée en 6e lorsque Julie et Laura la surnomment « Guyzmo », référence aux Gremlins et allusion à une légère asymétrie de sa mâchoire, suite à un accident lorsque Noémya avait 7 ans.
Je fais une parenthèse : rien à voir pour autant avec le physique quasi effrayant d’August dans Wonder, le magnifique roman de R. J. Palacio (Pocket, 2013) qui, lui, évoque l’exclusion et la discrimination « faciale » : « Je ne suis pas un enfant ordinaire… Lorsqu’un enfant ordinaire entre dans un square, les autres ne s’enfuient pas en hurlant. » Dans ce magnifique roman, August mettra toute son énergie à se faire accepter par tous. Mais ceci est une fiction…
Revenons à Noémya.
La collégienne veut se faire accepter, elle est gentille, alors elle dit oui à tout, se laisse malmener et peu à peu s’efface, cherche à devenir invisible pour éviter les insultes. Elle passe la plupart de ses récréations cachée aux toilettes. Aucun prof, aucun surveillant ne voit ou ne veut voir ce qu’elle subit : la Patafix dans les cheveux, les insultes, les petits mots en continu « T’es moche et tu pues… », la violence verbale et physique. Noémya s’enfonce, se néglige, un peu plus seule, un plus invisible, un peu plus tétanisée. Jusqu’au jour où à bout de force, en pleurs, elle lâche tout chez la CPE… événement qui n’aura d’autre conséquence que d’augmenter les représailles : « Toi t’es finie… ».
Toutefois il y a une lueur chez cette adolescente, la conviction, au fond d’elle, qu’elle ne mérite pas ce traitement, qu’elle vaut quelque chose. Alors elle l’écrit en rap. Elle scande sa rage, son amertume, son impossibilité de vivre. L’exprimer, c’est déjà faire un bout du chemin… Ce rap scande son récit.
En moi persistent des cicatrices que rien n’efface…
Aujourd’hui dans mon cœur, je me meurs, je pleure,
Trop de frère et sœurs dans ce monde se leurrent,
J’essaie de trouver du sens dans un système où il n’y en a pas,
Dans tout ce bordel, je me sens rien d’autre qu’un simple appât…
Les années passent et Noémya décrit le processus commun à de nombreux enfants harcelés : les absences répétées, l’inévitable décrochage scolaire, la situation d’échec, la dépression et l’incapacité à en parler à ses parents. Le suicide, elle y a songé mais n’est finalement pas passée à l’acte. Son seul répit fut la classe de Seconde dans un nouveau lycée : des amies, une activité sportive, une vie de lycéenne (presque) normale.
Pourquoi le pistolet de la colère est-il d’un si gros calibre ?
Mais Noémya réalise que le harcèlement est un poison qui dure longtemps, qui s’incruste en profondeur. Il a surtout construit autour d’elle une immense bulle de solitude. Elle mettra des années à regagner sa dignité, à reprendre confiance en elle, même le Bac en poche. Après de nombreux échecs universitaires, elle trouve enfin sa voie, elle sera monitrice-éducatrice. Ces gosses qui vont mal, après tout qui peut les comprendre mieux qu’elle ?
Le passage du livre le plus touchant, instructif aussi, est le moment où elle contacte ces anciennes harceleuses sur Facebook pour leur pardonner. Ce message de paix sera payé de retour en excuses. Les harceleuses ont aussi parfois leur raison… Rien n’est simple.
Ce n’est pas un roman, ni un objet littéraire. Mais un témoignage sincère, en cela il touche. Un livre de prévention, à faire lire aux ados fragiles, pour qu’ils puissent nommer les choses et se dire que le harcèlement n’est pas une fatalité. Aujourd’hui Noémya va mieux et elle agit, elle a participé à un documentaire et à l’aide de Jean-Pierre Bellon et Bertrand Gardette, président et co-président de l’APHEE, elle a fondé la page Facebook « Harcèlement scolaire : venez briser le silence » où les enfants victimes sont invités à témoigner.
De la rage dans mon cartable, par Noémya Grohan
Hachette Témoignages, 158 p., 11,90 €
Parents, pour comprendre la mécanique du harcèlement, je ne saurais trop vous recommander le formidable livre d’Emmanuelle Piquet Te laisse pas faire ! (Payot).
Emmanuelle Piquet a dû être stratège romain dans une vie antérieure. Cette psychopraticienne, adepte de la thérapie brève de l’école de Palo Alto est fondatrice de Chagrin Scolaire, centre de consultations et de formations dédié aux souffrances scolaires, où elle reçoit enseignants, parents et adolescents. Elle décrypte dans cet ouvrage très accessible le phénomène du harcèlement et nous démontre pourquoi l’interventionnisme des adultes dans ce système est contre-productif. A l’instar de Noémya, qui l’a expérimenté, le professeur qui vole au secours de la victime et punit le harceleur ne fait qu’amplifier le phénomène, l’enfant se révèle lâche auprès de son bourreau, incapable de se défendre tout seul… et en subit le contrecoup encore plus violemment.
Donc en parler oui, mais agir à la place de l’enfant, non.
Dans le cabinet d’Emmanuelle Piquet, on analyse les situations, chaque cas étant particulier et on aide l’enfant à trouver sa propre solution qu’il mettra en place lui-même. Ainsi, en étant acteur, il réussira d’autant mieux à inverser le rapport de force. Une démarche inédite, mais qui fonctionne. « L’enfant, n’est pas agressé parce qu’il est gros ou roux, il est agressé parce qu’on le sent vulnérable », constate la psychopraticienne. Ainsi, après être passé à l’acte, l’enfant fier de lui, adoptera une attitude haute, et augmentera toutes les chances de ne plus se retrouver dans la posture de la victime. C’est simple, il fallait y penser. Intelligent et efficace !
Voir la conférence TEDx d’Emmanuelle Piquet
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=iMGLy-juSxw[/youtube]
Te laisse pas faire ! Aider son enfant face au harcèlement à l’école, par Emmanuelle Piquet
Payot, 186 p., 18 €
Khris Anthelme dit
Oui, ça n’arrive pas qu’aux autres … !
Extrait de « France et souffrance » écrit en début d’année 2014, à lire gratuitement sur ce site :
Invraisemblance
Quant un logis est concerné l’on compatit,
Le plaignant sans pouvoir évaluer la peine,
Comment le pourrait-on ? La pitié serait vaine
Ne pouvant même imaginer le ressenti !
Quand bien même à penser, -Si ce fut mon petit,
Que ferais-je ? Ou, que deviendrais-je, une fontaine
Qui déverse ses pleurs ? Aurais-je de la haine
Envers ce monde oisif ? Serais-je anéanti ? –
Je vous laisse peser le cri de la sentence,
Dites-vous qu’éternelle elle est, qu’en la balance
Lourd est le poids, qu’elle suivra jusqu’au trépas !
À tout moment peut nous toucher l’invraisemblance,
Demeurons vigilants, le mal n’arrive pas
Qu’aux autres, non, l’atrocité prend de l’avance !