Claudine Desmarteau signe son plus beau roman avec l’histoire de Jan, une ado rebelle et bravache qui n’a ni sa langue ni ses poings dans la poche et qui marche sur les traces d’un ancien cancre qui a fait ses preuves, François Truffaut.
« Je ne suis pas le genre de personne qu’il faut chercher avec des noises. J’ai toujours été comme ça, paraît même que quand je suis née, j’avais mes petits poings serrés en gueulant comme un nouveau-né pas commode, c’est mon père qui raconte ça quand il est fier d’avoir une fille qui n’est pas une gonzesse. Moi j’ai des doutes sur ce qu’il est capable d’inventer quand il a des souvenirs pas clairs, et je parie que le jour de l’accouchement, il avait commencé à fêter ça avant que je survienne du ventre de ma mère. »
Jan, c’est d’abord une voix. Une gamine qui parle avec ses tripes et des étincelles fulgurantes. Collégienne issue d’un milieu popu – voire une cas soc’ comme on dit aujourd’hui – avec son cortège de problèmes qui lui collent aux basques comme un chewing-gum trop mâché : une réputation de bagarreuse doublée de cancre, un père au chômdu qui, lui, ne mâche pas que de la glace, une mère vendeuse dépassée par les événements, et un petit frère de huit ans et demi, Arthur, pour qui elle donnerait tout.
Le vrai prénom de Jan (prononcez Jeanne) c’est Janis. Parce que son père était fan de Janis Joplin, une « chanteuse qui se droguait les veines et qui est morte d’une superdose ». Ce prénom, elle le déteste car depuis l’âge de la cour de récré, Janis rime avec « pisse ». Et comme elle doit surtout compter sur elle-même, elle a commencé par se rebaptiser.
La réalité de la vie, Jan s’y cogne depuis qu’elle est toute petite alors faut pas trop la lui raconter, elle sait bien que la vie c’est pas comme « un conte de fées qu’on vous raconte pour qu’on s’endorme. » C’est une dure à cuire Jan, faut pas trop la chercher, plutôt le genre « à régler le problème dans sa racine » et, si possible, avec uppercut.
Pourtant, la donzelle n’est pas une mauvaise bougresse, au fond, elle préférerait avoir une vie peinarde, seulement voilà. Depuis qu’il ne travaille plus, son daron descend une pente dangereuse balisée par la bouteille, joue l’argent des allocs quand il ne paie pas des tournées au Bar des amis et a converti sa femme au métier de râleuse professionnelle. Bonjour le cocon familial.
Comment vivre son adolescence « quand les ennuis attaquent en bande » ? D’interdit bancaire en descente d’alcool, forcément, le père de Jan lui fait monter la colère au nez : « je pourrais avoir envie de le frapper, tellement je peux plus supporter son sourire de retardé mental et ses yeux de poisson périmé. »
Pourtant, il y a bien une petite lueur dans sa vie, ses potes : Amir avec qui elle rêve de partir à Los Angeles, Lucas et puis Leila et aussi monsieur Boisseau, le prof de français qui l’encourage et leur a fait voir en classe Les 400 coups de François Truffaut. Jan l’a aimé ce film, bien que ce soit « un vieux film d’époque en noir et blanc ». Il est presque autobiographique, alors cela lui donne de l’espoir. Avec toutes les bêtises qu’y fait Antoine Doinel, s’il a été capable de devenir un grand réalisateur, ça signifie que tout n’est pas foutu. Alors, Jan se repasse le film en boucle dans sa tête et se prend à rêver d’Antoine Doinel. Jusqu’où marchera-t-elle sur ses traces ?
Claudine Desmarteau signe là son plus beau roman, avec cette voix singulière et percutante qu’elle tient au plus près d’elle-même, jusqu’au bout. Jan se lit comme un long monologue, vif, haletant, qu’on ne lâche qu’au point final. Un roman, comme un écho à l’un de ses premiers albums, C’est écrit là-haut qui disait qu’il n’y a pas de fatalité et qu’on peut choisir autre chose que l’atavisme familial.
Comment peut-on garder confiance quand un adulte vous ment ? Comment se construire, se donner un but quand les adultes autour de vous sont dépassés et vous abandonne dans vos repères ? Comment croire en soi et garder courage ? Le livre pose toutes ces questions et la force de Jan est sa réponse par l’action. On aime sa franchise, sa lucidité et malgré son humour acide, la gamine est toujours prête à croiser une bonne surprise. On aime ce personnage bien ancré dans son époque. On sent la douleur, la férocité et la tendresse toute mêlée dans ce personnage. Jan montre une volonté de fer, c’est un bulldozer qui avance et que rien ne peut arrêter, entièrement portée par l’amour inconditionnel qu’elle porte à son petit frère.
Il faut lire Jan d’une traite, pour la petite musique de sa voix et parce que la lire c’est faire l’expérience avec elle. C’est marcher à ses côtés sur un fil tendu, en tenant fébrilement la funambule par le bout des doigts, en espérant qu’elle ne fasse pas un faux pas. Et regarder Jan, cette force qui va, aller du noir vers le bleu.
Le site de Claudine Desmarteau
JAN
Claudine Desmarteau
250 p. éditions Thierry Magnier, 14,50 €
(dès 12 ans)
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