François-Guillaume Lorrain retrace l’incroyable destin de Sohn Kee-chung, jeune Coréen qui battit le record olympique en 1936, à Berlin. Un héros qui choisit de combattre la domination nippone avec pour seules armes : ses jambes, sa détermination et le symbole de son pays, l’ours qui n’abandonne jamais.
Un jour de 1919, dans la ville coréenne de Sinŭiju, il se produisit un événement extraordinaire. Le jeune Hyo-dong, douze ans, déclara à son frère, Kee-chung :
– Aujourd’hui, on ne va pas à l’école.
Kee-chung n’était pas certain d’avoir bien entendu. Il le fit répéter :
– Aujourd’hui, on ne va pas à l’école. Ni demain, ni après-demain. L’école, c’est fini.
Kee-chung ouvrit de grands yeux. Il les écarquilla encore davantage lorsqu’il apprit qu’en prime, ses parents étaient d’accord – et même, que la consigne venait d’eux. Il ignorait que quelques semaines auparavant, à la dernière réunion des parents d’élèves, la décision de ne plus envoyer leur enfants à l’école avait été prise à l’unanimité.
Kee-chung vit au début des années 1920 non loin du fleuve Yalu, dans une région proche de la frontière chinoise, aujourd’hui en Corée du Nord. Mais à cette époque, la Corée a officiellement disparu. Sa famille et tous les siens vivent sous le joug des Japonais qui se sont appropriés les terres et les bras de ses habitants. Mais leur âme, jamais.
Kee-chung n’a que sept ans lorsque son grand frère commet l’acte de rébellion qui façonnera l’existence du jeune garçon. Lors de la remise des prix de fin d’année scolaire, Hyo-dong brandit avec fierté le drapeau coréen dissimulé sous sa blouse en haranguant les soldats japonais « Rendez-nous notre pays ! » Comme un seul homme, tous les élèves l’imitent. Pourchassé par les soldats, Hyo-dong s’enfuit et entraîne avec lui dans sa course folle son jeune frère. Kee-chung découvre alors qu’en courant, il lui vient des ailes. Ses jambes seront un don du ciel, un plaisir intense. Mieux, son arme.
Hyo-dong a été envoyé dans un camp de redressement. Reviendra-t-il un jour ? En attendant, les épreuves vont faire grandir Kee-chung à toute vitesse. Très vite le garçon se forge un moral d’acier et s’impose un entraînement hors norme.
Tout d’abord, chaque matin à l’aube, il court pour son père les kilomètres qui les séparent de la frontière chinoise pour revenir les bras chargés de melons et de pastèques à vendre au marché. Il s’entraîne dur avec son professeur qui cultive son don, lui livrant les secrets physiques et psychologiques des ressorts de la victoire. « Tout est possible, dès lors qu’on n’abandonne pas à la première difficulté. Regarde notre pays ! Il est tout entier né de cette patience, qui est notre valeur suprême ». Et pour l’aider à se muscler davantage, son coach lui attache une pierre dans le dos. Et puis il y a sa jeune amoureuse Hee-won, qui croit en lui et l’aime depuis le jour où elle l’a vu battre en courant un garçon à vélo. Pour atténuer ses pieds meurtris par l’effort, ne confectionne-t-elle pas un lit de fleurs de coquelicots à glisser dans ses chaussures ? Délicats, authentiques et cachés, les pétales symbolisent bien l’amour discret et l’action souterraine de ces deux-là.
Dès lors, plus rien n’arrêtera Kee-chung. Venger son frère de sang et tous ses frères d’âme par l’exploit, faire reconnaître la beauté et la suprématie de la Corée, voilà son seul moteur. Et pour cela il est prêt à accepter de courir sous bannière japonaise aux Jeux olympiques de Berlin, un événement organisé par un petit moustachu agité dont il se désintéresse. Pour cela, il se dédouble : « coréen sous le maillot, japonais en apparence.» Le sport comme une résistance. Prouver qu’un Coréen peut gagner face au monde et se relever de l’oppression des Japonais. Et pour cela, une chose reste à accomplir : il doit gagner la course et, tant qu’à faire, battre le record du monde.
Dans ce roman qu’on ne lâche pas, François-Guillaume Lorrain retrace le destin unique de ce héros méconnu qui mettra toute sa volonté et son ardeur à raviver dans les cœurs la dignité de son pays. Comme dans tous les romans d’apprentissage, le lecteur grandit en même temps que le héros et découvre pour autant que l’exploit ne s’arrête pas au cordon de la ligne d’arrivée. Il se poursuit, adulte, dans la transmission aux plus jeunes de ce goût pour le geste, pour l’effort. La course comme une résilience. François-Guillaume Lorrain a su trouver la juste distance et nous touche avec ce héros asiatique tout en pudeur qui nous apprend que « l’existence se résume à notre capacité à lutter contre le temps ». Transmettre cette histoire, c’est rétablir une vérité oubliée autant qu’inspirer tous ceux pour qui le sport est un moyen d’élévation individuel ou collectif. Une aspiration intemporelle.
Le Garçon qui courait
François-Guillaume Lorrain
224 p. Sarbacane, 15,50 €