Comment une rose peut-elle éclore du désert le plus aride ? Xavier-Laurent Petit raconte le destin d’Adriana, jeune fille rescapée d’un bidonville mexicain. Le roman captivant d’une survivante qui n’est pas sans résonance avec l’actualité des migrants, vient de paraître en poche.
« Quand on était gamin, Grand-Pa nous emmenait parfois sur la mesa*, au-dessus de Santa Arena. On y montait après le travail, au moment où la chaleur devenait presque supportable. Il se calait quelques bouteilles de bières au fond des poches et prenait son bâton pour casser le cou des crotales qui se mettaient en chasse à la fin du jour (…)
Avec Guillermo, on se mettait à ses pieds et on attendait que le spectacle commence. Les chauves-souris nous frôlaient, le ciel virait au noir profond et très loin, bien au-delà du désert, les villes des ranjeros* s’illuminaient (…)
– Regarde Adriana, disait Grand-Pa en soufflant sur la fumée de sa cigarette, c’est le cœur de la richesse qui vit là-bas, au pays des ranjeros. Les toits de leurs maisons sont en or et leurs rues sont pavées d’argent… »
Les citadins sont-ils vraiment pleins de richesses ? Adriana, elle, est riche des rêves que son grand-père a allumés en elle, gamine. Et lorsqu’elle regarde au-delà du cerco (la clôture), elle imagine un monde meilleur. Un monde moins aride, moins dur sans la canicule qui assèche les cœurs et les espoirs. C’est sûr, un jour, ces lumières brilleront pour elle. En attendant, à Santa Arena au nord du Mexique, seule la reproduction de la misère semble possible : sa mère doit faire les poubelles pour chausser ses trois enfants et son père travaille jusque tard pour une bouchée de pain.
Alors un jour, le père décide de partir avec sa femme et ses trois enfants pour se rapprocher de la grande ville et de la civilisation, histoire de se donner une dernière chance. C’est ainsi qu’avec un âne et quelques bagages, ils débarquent à Calamoccaro, un gigantesque bidonville situé au pied de hauts murs barbelés et de miradors, un trou-du-cul du monde où il faut jouer des coudes pour prendre une place. Ou juste rester en vie.
Adriana a bien compris que Calamoccaro n’est pas un sésame pour le paradis. C’est plutôt « comme une plaque de boutons qui te démangent, tu te grattes et le lendemain, tu en as partout. » Peu à peu, la famille apprend à se protéger : construire une baraque avec cinq planches de tôles, payer chaque jour Mama Yosepha, leur ange-gardien de cent-vingt kilos, son sourire « qui lui fend la graisse » et ses bonbons plein les poches, se nourrir de frites froides que la mère ramène au retour de la baraque où elle fait la plonge pour quelques monedas tard le soir.
Pas d’école, pas de travail, pas d’intimité, une chaleur qui vous tue, le vent aux portes du désert qui macule tout de poussière, le père qui ne trouve pas de travail et le frère qui rentre chaque nuit avec une tête de zombie et des ricanements étouffés, comme s’il n’y avait rien de plus tordant que cette misère.
Un job, il y en aura pour les aînés à la Chemical & Petrological Corporation. Guillermo et Adriana doivent chaque jour descendre au fond des cuves bourrées de produits toxiques pour les nettoyer. L’argent économisé ira au passeur qui les aidera à franchir la frontière, à traverser le désert et les ennuis : les flics, les chiens dressés et les hélicoptères. Ils ont calculé que deux ans d’économies seront nécessaires. Deux ans, avant de rejoindre la ville aux toits d’or et aux pavés d’argent. Mais pour Guillermo, qui a choisi les mauvaises fréquentations et l’argent facile, pas question d’attendre si longtemps… Il a un autre plan.
Xavier-Laurent Petit nous avait déjà emmenés avec son formidable Maestro dans les faubourgs pauvres de l’Amérique du Sud, avec l’histoire de ce petit cireur de chaussures devenu musicien des rues par la grâce d’un vieillard chef d’orchestre. Cette fois, il dresse le portrait d’une jeune fille volontaire, la tête bien sur les épaules et prête à en découdre pour accomplir le rêve de son grand-père adoré, lui, qui une fois avait aperçu « une femme rousse comme de l’or avec des yeux verts comme des dollars.»
C’est un portrait sans concession que brosse l’auteur de l’exil et des gens de peu qui savent ravaler leur salive quand il le faut, jouer des coudes et saisir leur chance quand elle se présente. Car elle ne se présente jamais deux fois, et ça, Adriana le sait d’instinct.
On ne peut s’imaginer ces bidonvilles mexicains et le rêve américain si proche, sans penser dans le même temps au sort des réfugiés entassés dans des camps bardés de barbelés aux portes de notre Europe. Xavier-Laurent Petit offre un roman haletant, qu’on dévore d’une traite tant on a envie de voir Adriana se sortir de la zone et nous prouver de quoi, avec des rêves, du labeur et beaucoup de sang-froid, on est capable.
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Les yeux de Rose Andersen
Xavier-Laurent Petit
208 p., l’école des loisirs, coll. Medium, 6,80 €
(dès 12 ans)
(*Le plateau – * Les étrangers)
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