Dans son roman pour ados, La Guerre de Catherine, Julia Billet racontait le destin d’une jeune fille juive qui traverse la guerre en la photographiant. Librement inspirée d’une histoire vraie, celle de sa propre mère, son adaptation en BD est une vraie réussite qui met la petite histoire dans la grande, à la portée de tous.
« Soleil au zénith, inutile d’insister.
A cette heure-ci, je ne ferai rien de bon.
L’heure du midi n’offre aucune ombre, aucune place aux demi-teintes ni aux clairs obscurs. Rien ne vaut la fin de la journée, entre chien et loup quand le jour s’estompe peu à peu.
On se revoit à ce moment-là mesdemoiselles.
Pingouin, le mari de la directrice m’a prêté un Rolleiflex lorsqu’il m’a nommée responsable de l’atelier photo. Depuis, je ne m’en sépare plus. J’adore regarder le monde à travers le viseur. D’un clic, arrêter le temps. »
Pendant la guerre, la Maison de Sèvres est un lieu privilégié pour les enfants : une éducation libre, ouverte sur les passions de chacun et tenue par deux résistants avant-gardistes. La directrice surnommée « Goéland » et son mari « Pingouin », accueillent dans l’école quelques enfants juifs, cachés par leurs parents. Dans ce lieu choyé comme un refuge, les enseignants s’acharnent, malgré la guerre, à faire vivre à leurs protégés une enfance : une maison accueillante, un grand parc, un environnement serein, des activités artistiques multiples qui les occupent, une camaraderie fraternelle… Le climat est propice pour atténuer le contexte terrible, l’absence des parents et les échos lointains de la guerre.
Rachel, l’une de ces enfants cachées, découvre la photo. Avec Pingouin qui l’initie, naît la passion du 6×6. Quoi d’étonnant par ces temps ombrageux que de chercher à s’apaiser avec la lumière d’un visage, l’éclat d’un rire, à fixer la grâce d’un geste, un moment hors du temps ?
Mais le rouleau compresseur de la guerre avance, avec ses terribles incertitudes comme celle de ne pas savoir si ses parents sont toujours en vie. Pétain a fait voter de nouvelles lois anti-juives et des Allemands sont venus inspecter la Maison de Sèvres. Rachel doit oublier son ancien nom mais aussi toute sa vie d’avant, quand la guerre n’obligeait pas les Juifs à se cacher. Elle sera désormais Catherine.
Le refuge n’est plus sûr. Commence alors une vie à fuir le danger, grâce au réseau de résistance. Envoyée en zone libre, Catherine, sommée par la directrice, emporte avec elle son Rolleiflex : « Va, regarde le monde avec des yeux d’artiste, de citoyenne de la République des enfants. N’en perds rien. Nous aurons besoin de ces témoignages quand la guerre sera finie. » Goéland porte une mission auprès des enfants, Catherine a désormais la sienne.
De famille d’accueil en orphelinat jusqu’en camp de maquisards, la jeune fille photographie avec passion des visages, des dos qui prennent la route, des regards d’enfants perdus dans une histoire trop grande pour eux, des hommes armés qui s’engagent pour un monde meilleur. Les amitiés se noueront au fil des routes. Catherine-Rachel capte les images pour tenir, pour témoigner de sa guerre à elle, l’œil dans le viseur comme un ultime rempart aux émotions. De Paris aux Pyrénées, elle multiplie les rencontres, des fermiers taiseux, un commerçant-photographe blessé dont elle tombe amoureuse, la petite Alice qu’elle prend sous son aile comme une sœur et Agnès, sorte de gavroche qui lui promet de lui faire rencontrer plus tard un certain Robert qui photographie les amoureux du Quartier-latin… Catherine-Rachel traverse des vies, enjambe la guerre et capte des images pour mieux se souvenir peut-être et pour partager chaque instant de vie sûrement.
Julia Billet dont j’avais adoré Je n’oublierai pas (éd. Motus, 2005) avait signé en 2012 ce roman poignant en s’inspirant librement de l’histoire de sa mère, Tamo Cohen, et de la Maison des enfants de Sèvres. Cette école avant-gardiste qui eut pour animateur, entre autres Kangourou, plus connu sous le nom de « mime Marceau » a réellement existé. C’est une jolie adaptation dialoguée qu’offre ici la romancière et qui permettra de toucher un public plus large. Les pinceaux de Claire Fauvel contribuent à coloriser et à poser par touches de la lumière sur une période sombre, tout comme son héroïne s’attache à le faire avec ses photos. C’est un livre de courage, une fiction comme un hommage « qui vient rappeler que même quand les loups hurlent à la mort, des hommes et des femmes restent fidèles à l’humanité ».
Le site de la Maison de Sèvres
La Guerre de Catherine
Julia Billet, illustrations de Claire Fauvel
162 p., Rue de Sèvres, 16 €
(dès 11 ans)
Laisser un commentaire