Avec Scarlett et Novak, Alain Damasio met en garde les adolescents contre les dangers de la vie numérique. Démonstration imparable.
« Novak court. Le quai est désormais désert. La pluie insiste. Les pavés sont luisants et ses baskets couinent de trouille. Il court avec des foulées de 2,02 mètres, à une fréquence de trois foulée par seconde, soit 22,1 kilomètres par heure. Son rythme cardiaque vient de monter à 160 battements par minute, sa sudation frôle les 2 millilitres par centimètre carré de peau. C’est son brightphone qui lui scande tout ça, sans écouteurs, par conduction osseuse.
– Novak, tu viens de battre ton record de fractionné. Veux-tu tweeter la nouvelle à tes amis ? le prévient son appareil.
– Derrière, ils sont à combien ?
– Tes concurrents sont à 160 mètres derrière toi.
Souhaites-tu définir une ligne d’arrivée virtuelle ? Je te propose le Pont Vinci.
– C’est pas… des concurrents… Scarlett. »
« Il veut la sauver, mais le danger c’est elle. » Voici l’accroche éloquente de ce texte d’anticipation très réussi d’Alain Damasio, l’auteur de science-fiction le plus en vogue du moment, et qui n’est pas sans rappeler Her, le long métrage de Spike Jonze magnifiquement interprété par Joachin Phoenix et une certaine Scarlett (Johansson).
Bienvenue au temps du « tout intelligence artificielle ». Novak vit en permanence connecté à son brightphone. Son assistance numérique lui commente sa vie en live, lui murmurant ses options possibles. Scarlett a été programmée en fonction de ses goûts : le son de sa voix, ses suggestions musicales, ses citations, son humeur, son degré d’implication dans sa vie. Scarlett le connaît mieux que quiconque, anticipe ses besoins, lui propose les vêtements à porter telle une mère, une maîtresse, une conseillère, une animatrice de vie quotidienne. Omniprésente dans la vie de Novak, elle est « une amie à portée de main ». Et pourtant, Scarlett n’existe pas.
Lorsque le jeune homme se fait agresser par de jeunes zonards qui lui volent son brightphone, ce n’est pas seulement un outil précieux qu’il perd, c’est Scarlett. Débranchée, elle n’a plus aucune existence. Un assassinat virtuel en quelque sorte qui met au jour la grave dépendance à laquelle nous pourrions arriver.
En poussant l’histoire un peu plus loin, Alain Damasio nous fait prendre conscience du risque de mettre notre vie, nos émotions, nos décisions essentielles dans la main des algorithmes. Une vie entière contre un mot de passe à la portée du premier malfaisant venu.
L’auteur des Furtifs (La Volte, Grand Prix de l’Imaginaire 2020) nous alerte : il est encore temps de reprendre la maîtrise de nos vies, de ne pas laisser la technologie prendre le pouvoir sur nos émotions. Ce très court roman est à mettre entre toutes les mains : intriguer, éveiller les consciences et donner à réfléchir, à contredire peut-être, mais la question de la place du digital au cœur de nos vies est bel et bien là. Et Damasio, en lanceur d’alerte des mondes de demain frappe fort et juste.
Lire un extrait.
Je conseille le poème final à lire, comme un épilogue du confinement :
« (…)
T’as 50 fenêtres ouvertes mais ton cœur se referme.
Une vie passée à caresser une vitre
gavé d’images qui ne te prendront jamais dans leur bras.
De bombes et de bogosses trop chous
qui ne te diront jamais « oui » sous leurs draps.
(…) »
Scarlett et Novak
Alain Damasio
64 p., Rageot, 4,90 €
(dès 13 ans)
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