Timothée de Fombelle construit une épopée magistrale. Son héroïne, Alma, fille du peuple Oko, est jetée dans le siècle de la traite négrière. Illustré par son complice François Place, Alma, le vent se lève, a reçu le prix France-Télévisions du roman Jeunesse.
«C’est un zèbre sans rayures, debout dans les herbes jaunes, avec deux enfants couchés dans son ombre.
– Regarde comme il est grand.
Elle s’appelle Alma, elle parle à son petit frère allongé près d’elle. (…)
La vallée est entièrement fermée par des falaises.
Elle est belle et chaude comme un paradis. Elle ressemble à une main immense, remplie de prairies, d’arbres et de bêtes sauvages. (…)
Même au paradis, il faut bien raconter des histoires et inventer d’autres mondes aux enfants. Alors Alma a inventé ce pays de là-bas pour son frère. Elle lui en parle toutes les nuits (…)
Mais il s’est passé quelque chose qu’elle n’avait pas prévu et qui lui fait un peu peur. Son frère a construit sa cabane dans ce monde qu’elle invente. Petit à petit, Lam s’est installé là-bas, dans ce paysage imaginaire. Depuis des mois, il ne pense qu’à ça, il ne veut plus en revenir.»
Il est la figure principale de la littérature jeunesse française contemporaine.
Alors qu’il vit en Afrique, à l’âge de treize ans, Timothée de Fombelle visite avec sa famille la forteresse d’Elmina au Ghana. Un endroit d’où sont partis des millions d’esclaves, hommes, femmes, enfants capturés pour servir le Nouveau Monde.
C’est long de créer un monde en soi. Cette histoire d’exil, de quête d’identité, de liberté et d’aventure, il l’a porté en lui pendant trente-cinq ans.
Alma est le roman de la maturité d’un auteur qui embrasse cette fin de XVIIIe siècle, à la fois ses conditions humaines – les différents acteurs et intérêts – et l’histoire d’une famille africaine prise dans la tourmente de la folie négrière du siècle, séparée et embarquée sur des navires. Alma le vent se lève est le premier opus de cette saga en trois volumes.
Il fallait tout le souffle et le talent de conteur de Timothée de Fombelle pour s’attaquer à ce sujet si vaste et difficile qu’est l’esclavage. Un sujet dans les marges de l’Histoire qui n’avait jamais été traité en littérature de jeunesse.
Pour cela, il confronte tous les imaginaires : pirates, traversée des mers, quête d’un trésor, réalité très dure des hommes et des femmes détenus à fond de cale du navire, le négoce, les conflits d’intérêts…
On entre d’abord dans le livre avec grâce dans un univers poétique, un refuge reconstitué par le poète, une vallée fermée, un Eden, où vit Alma et les siens, retirés du monde, comme protégés. Lorsque la jeune fille va passer la porte de ce sésame inversé, elle se jette dans le fracas du monde car elle veut retrouver coûte que coûte ce petit frère choyé. et parce que dans sa langue , Alma signifie « libre, une liberté imprenable, une liberté qui remplit l’être pour toujours. » La liberté intérieure est le plus bel antidote en cas de capture. Tandis que le père, Mosi, se trouve rattrapé par son passé « Il y a des taches qui ne s’en vont jamais.
On s’attache aux jeunes personnages embarqués dans un destin plus grand qu’eux : Joseph le petit mousse qui embarque à bord de la Douce Amélie parce qu’il y a la promesse d’un trésor à bord, Alma, qui recherche son petit frère Liam, et puis Amélie de Bassac dont le visage orne la proue du fameux navire de son armateur de père et dont on pressent qu’elle sera une actrice importante dans les prochains tomes.
L’auteur nous souffle le mystère de cette grande histoire encore non digérée, douze millions de personnes vendus comme esclave Outre-Atlantique pour que leurs voix résonnent un peu en chacun de nous. De Nantes à Gorée, de l’Afrique à La Rochelle, on suit le destin de sa jeune héroïne qui se débat dans ce siècle fou, inhumain. L’histoire d’un peuple qui n’est pas dans les livres, mais dont le destin se chante en guise de transmission afin qu’on ne l’oublie pas, un peu comme les aborigènes chantaient leur chemin pour se guider dans le désert. La mère d’Alma veut faire entendre cette vibrante mémoire. En chantant, « elle garde en elle un trésor qui ne lui appartient pas. La mémoire de son peuple. »
« Si l’enfance est une richesse, disait John le Carré, alors je suis multi millionnaire. » Timothée de Fombelle pourrait bien s’approprier cette citation tant son pays est celui de l’enfance et de l’imaginaire. L’auteur du Livre de Perle (à mes yeux son chef d’œuvre) ou du Jour où je serai grande, me fait penser à la phrase de la toute dernière nobélisée en littérature, la poétesse américaine Louise Gluck : « We look at the world once, in childhood. The rest is memory. »
Lire un extrait d’Alma.
Alma, le vent se lève
Timothée de Fombelle, illustrations François Place
390 p., Gallimard jeunesse, 18 €
(dès 12 ans)
Coline dit
Merci Nathalie pour les pépites que vous nous partagez ! Je vous suit depuis quelques années et à chaque fois je me régale de vous lire !
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