Sous l’impulsion de Frédéric Lavabre des éditions Sarbacane, un collectif d’une quarantaine d’éditeurs jeunesse publie un petit texte de Daniel Pennac, illustré par Serge Bloch, comme une main tendue aux réfugiés. Eux, c’est nous est un discours de paix, un texte fraternel pour réaffirmer des valeurs indispensables auprès des jeunes lecteurs. Un livre nécessaire dont les bénéfices seront reversés à la Cimade, une association qui, depuis 1939, s’occupe de venir en aide aux personnes déplacées par la guerre.
« Si un homme, une femme, un enfant souffrent et que personne ne veut les secourir, vous entendrez tout. Toutes les excuses, toutes les justifications, toutes les bonnes raisons de ne pas leur tendre la main. Dès qu’il s’agit de ne pas aider quelqu’un, on entend tout.
A commencer par le silence. »
Depuis les attentats du vendredi 13 novembre, on ne parle plus du sujet qui faisait la Une de tous les journaux : les réfugiés. Deux phénomènes pourtant liés, la Syrie cristallisant tous les grands problèmes du moment.
La télévision nous a montré des images de peuples fuyant par dizaine de milliers, sur les routes, les voies de chemins de fer, par la mer, escaladant des murs de barbelés érigés au nom d’une pseudo protection. Des images d’une grande dureté. Ce texte vise à expliquer clairement le phénomène migratoire actuel aux plus jeunes et à démonter les idées reçues.
Dans sa très belle introduction, Daniel Pennac nous interroge. Pourquoi ces vagues de réfugiés nous font-elles peur ? Pourquoi nous sentons-nous en danger face à ces « hordes » lancées sur les routes ?
Pourtant, les vagues de migrants ont toujours existé.
A commencer au début du XXe siècle par les juifs d’Europe de l’Est persécutés, les Russes fuyant la Révolution, les Arméniens fuyant le génocide en Turquie, sans oublier ceux qui ont fui le Franquisme dans l’Espagne des années 30, le fascisme et la misère d’Italie. Au cours des années 70, les Chiliens, les Argentins ont fui les dictatures sud-américaines, et plus près de nous les habitants des Balkans, la guerre, dans les années 90.
Dans ce très joli texte à hauteur d’enfant, Daniel Pennac nous enjoint à enterrer nos peurs, mauvaises conseillères, et à ne pas regarder ce phénomène comme un déferlement de masses à redouter, non, toutes ces images doivent être bannies pour être remplacées simplement par celles uniques, individuelles, d’hommes, de femmes et d’enfants cherchant simplement à vivre en paix.
« Ces gens qui pourraient être moi, toi, vous. Nous. Mais qui sont eux. »
Un texte empathique pour ouvrir son cœur, ses bras, sa porte. Daniel Pennac démontre qu’à l’échelle humaine, cette population peut trouver sa place en Europe, en Russie, aux Etats-Unis ou encore au Canada.
« Nous voyons bien que ce n’est pas une question de nombre. Mais de volonté. »
Le livre prend le temps d’explications simples et claires sur 8 mots clés :
On y a apprend les grands principes de ce qu’est une demande d’asile, un visa, un passeur et quelques chiffres marquants aussi.
Par exemple, saviez-vous qu’aujourd’hui un Français sur quatre est d’origine étrangère par ses grands-parents. ?
Que 3 000 personnes ont perdu la vie en traversant la méditerranée depuis le début de l’année 2015 ?
Que plus de 430 000 personnes ont trouvé refuge en Europe au cours des 6 premiers mois de 2015 ?
En comparaison avec les gens fuyant l’Allemagne nazie, ce fut 8 à 10 millions de personnes ont trouvé refuge dans le sud de la France et à l’étranger.
Depuis 2004, 200 000 émigrés en moyenne arrivent en France, par an, ce qui correspond à 0,3% de la population française contre 0,6% aux Etats-Unis. Et dans les cinq années qui suivent, 20 à 50% de ces immigrés repartent.
Saluons l’initiative des éditeurs jeunesse pour cet élan d’ouverture et de générosité. Un élan à suivre.
Eux, c’est nous
L’instinct, le cœur et la raison
Daniel Pennac, Jessie Magana et Carole Saturno
32 p. 3 € (dès 8 ans)
© illustrations de Serge Bloch
Collectif regroupant plus de 40 éditeurs de littérature de jeunesse : Actes Sud Junior, L’agrume, Albin Michel Jeunesse, Amaterra, Bayard, Caligram, Cambourakis, Casterman, Dargaud, Delcourt, Didier jeunesse, L’Ecole des loisirs, les éditions des Eléphants, Les Fourmis rouges, Gallimard jeunesse, Glénat, Hachette jeunesse, Hachette Romans, Hatier, Hélium, Hong Fei Cultures, Kaléidoscope, De La Martinière, Magnard, Milan, Møtus, Nathan, Palette, La Palissade, Pastel, Père Castor Flammarion, Les Petites Bulles éditions, Pocket jeunesse, Rageot, Retz, Ricochet, Des ronds dans l’O, Rue du Monde, Le Rouergue, Sarbacane, Seuil jeunesse, Syros, Talents Hauts, Thierry Magnier.
En complément de lecture, je suggère aussi de revenir sur un court roman formidable paru en 2012 aux éditions des Grandes Personnes, et qui à mon avis est passé trop inaperçu : Guerre, et si ça nous arrivait ? Un roman qui nous place exactement dans la perspective « Eux, c’est nous ».
« Et si, aujourd’hui, il y avait la guerre en France… Où irais-tu ? » Ainsi débute ce petit livre en forme de passeport qui projette le lecteur en plein chaos. L’union européenne et les démocraties se sont effondrées, laissant la place à des régimes totalitaires. Scandinaves et Anglo-saxons ont déclaré la guerre à la France qui voulait imposer sa vision à l’Europe. Plus rien ne sera jamais comme avant. L’adolescent de quatorze ans, protagoniste du livre, s’interroge. Que faire lorsqu’on doit vivre sous les bombes ? Que votre meilleur ami a disparu ? Comment dormir, se nourrir, vivre avec la peur au ventre ? Tout quitter, renoncer à son passé, à sa langue, à ses biens ? Tant pis, plutôt rester en vie. Il y a des pays qui accueillent, des pays où brille un espoir de liberté de l’autre côté de la Méditerranée depuis le printemps arabe. Science-fiction ? Pas vraiment. Au-delà d’un scénario catastrophiste sur une guerre potentielle, c’est à un véritable exercice d’empathie que l’auteur nous convie en nous projetant dans la peau d’un immigré clandestin. Car la famille française du héros s’exile en Egypte. Par un subtil renversement des perspectives, l’auteur nous fait éprouver les difficultés que connaissent les étrangers en arrivant dans l’Hexagone. « Tu t’habitues à vendre des pâtisseries. Tu t’habitues à la pauvreté (…) Tu ne t’habitues jamais en revanche à être considéré comme un citoyen de troisième zone. » La Danoise Janne Teller a adapté son texte spécifiquement au cas français, afin de mieux faire sentir au lecteur les difficultés de l’intégration : l’incapacité à trouver sa place, la perte d’identité, l’impossibilité d’aller à l’école ou de trouver un travail. « Les réfugiés européens ne savent rien faire d’autre qu’être assis à un bureau et brasser du papier. Personne n’a besoin de ça. » Ce texte court et nécessaire détient la force d’un Matin Brun, la nouvelle de Franck Pavloff et mérite le même succès.
(ma chronique de LIRE, avril 2012)
GUERRE et si ça nous arrivait ?
par Janne Teller, traduit du danois par Laurence W.Ø. Larsen,
illustrations de Jean-François Martin
64 pages, Les Grandes Personnes, hors collection, 7,90 €
(dès 11 ans)
Thania dit
Merci beaucoup. ça m’a beaucoup aidé cet article