Jo Witek dénonce le scandale des jeunes filles mariées contre leur gré. J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle nous fait vivre avec force et justesse ce drame de l’intérieur.
« C’est une fin de journée lumineuse. Il fait très chaud. Mes tresses sont un peu défaites. J’ai quatorze ans. Je porte l’uniforme du collège et mon sac de cours en bandoulière. Assise sur le porte-bagages de la vieille mobylette bleue de mon oncle, je délaisse la ville et son brouhaha. Les vacances sont devant, mon sourire innocent ; je rentre à la maison. Je me sens légère, forte, protégée derrière oncle Blabla qui zigzague habilement au milieu d’une circulation dense.
Pour me suivre, il faut quitter la ville, délaisser les routes goudronnées et s’enfoncer sur des pistes de terre. Des kilomètres de poussière. Ici le soleil, le vent, la pluie, l’alternance brutale des changements climatiques accompagnent les vies, marquent les peaux comme les territoires. (…) Ils m’ont tous terriblement manqué. Six mois que je ne suis pas rentrée. »
On n’est pas sérieuse quand on a quatorze ans, emplie de de promesses et de rêves. Ceux d’Efi sont faits de découvertes, de soif de connaissances et de tendresse pour les siens restés au village. Elle a choisi d’étudier au collège de la grande ville, un projet soutenu par sa mère, car Efi est douée et volontaire. Madame Gaztea, son professeur de français, est un phare dans sa vie, elle lui a prêtée des livres pour les vacances et une lampe de poche « pour lire à la belle étoile ». C’est vrai qu’il n’y a pas d’électricité ici la nuit. Le cœur empli de son savoir tout neuf, de ses enthousiasmes, Efi rentre à la maison. Elle n’a pas vu son frère aîné, ses sœurs et ses parents depuis si longtemps…
Mais au retour, quelque chose a changé. Elle a eu ses règles et quatorze ans. Et la nouvelle tombe comme une claque : la famille a décidé de la marier à Soan dont la famille est prospère, probablement contre une bonne somme d’argent. Envolés l’innocence, ses illusions et ses futures études d’ingénieure. Un grand couvercle écrase d’un coup tous ses rêves.
Du jour au lendemain, les moindres gestes d’Efi sont surveillés par tout le village, sommée de garder la maison, elle ne peut plus sortir seule. Sa petite sœur admire les préparatifs du mariage : « Elle ne peut pas savoir ce qui se trame derrière les belles robes de princesse ». Son père devient dur et distant, lui qui adorait l’emmener bricoler dans son atelier de menuiserie. Comment peut-on changer à ce point ? Sa mère attend encore un enfant, Efi scrute la tristesse dans son regard, sa résignation, elle ne veut pas de ça pour elle. Elle se battra. Mais comment sortir de cet enfer ? Réussira-t-elle à empêcher ce mariage ? Ses amies lui font comprendre que s’opposer à la communauté est trop dangereux. Alors Efi va chercher dans ses ressources intérieures, la poésie d’Emily Dickinson, et braver les dangers car sa liberté est à ce prix.
Jo Witek dont j’avais adoré son précédent roman Dernier arrêt avant l’avenir nous plonge dans la tête de cette jeune fille rebelle qui, comme douze millions de « sœurs » dans le monde, sont mariées contre leur gré chaque année « au nom des traditions, ils me tuent. » Elle nous fait vivre ce drame qui embarque Efi vers une prison intérieure et nous montre combien se battre dans ce type de situation est mission (quasi) impossible. Un roman très fort sans voyeurisme mais qui nous plonge frontalement au cœur de ces drames intimes pour mobiliser nos sociétés et nos consciences.
J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle
Jo Witek
124 p., Actes Sud junior, 13,50 €
(Parution le 3 février 2021)
(dès 13 ans)
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