C’est le retour de la grande romancière de la littérature jeunesse française. Sauveur & fils, saison 1 est le début d’une saga archi réjouissante. Unité de lieu choisie : le cabinet d’un psychothérapeute bigrement attachant. Quand Marie-Aude Murail se veut la scrutatrice de ses contemporains, ça déménage. Rencontre.
Les ados vont-ils mal ? A en croire le prisme choisi par Marie-Aude Murail – le regard d’un psy – il semblerait que les parents ont de quoi largement s’inquiéter : des tentatives de suicide en veux-tu en voilà, des hyper actifs et des phobiques scolaires comme s’il en pleuvait… Dans Sauveur & Fils, tout le monde en prend pour son grade, à commencer par les parents. Mais Marie-Aude Murail raconte les ados en souffrance avec un regard bienveillant, joyeux, comme pour dire aux parents : réveillez-vous, regardez ! Ne minimisez pas et traitez les problèmes. Car, au fond, ils ont tout pour aller bien nos ados, une fois bien armés.
Son héros, Sauveur Saint-Yves est un psy qui œuvre pour aider les ados avec beaucoup d’ambition. « Sauveur » Un prénom en forme de mission. Et pour cause, ils sont nombreux à passer dans ce cabinet : une scarificatrice de 14 ans, une famille recomposée avec, sur le canapé gauche un couple de lesbiennes qui veut avoir un enfant et sur le divan à droite un ex mari dépassé et ses ados bien décidées à ne pas se taper deux belles-mères !
Sauveur, c’est tout, sauf la caricature du psy : Antillais taillé comme un rugbyman qui élève seul son fils Lazare de 8 ans. Un psy, un peu magicien avec un cœur gros comme ça qui va jusqu’à recueillir Gabin, 16 ans, le fils d’une patiente internée ou à offrir des bébés hamsters à tous ces petits patients…
Pourtant, avec son fils, il s’y prend plutôt à l’envers. Lazare, souvent livré à lui-même, a trouvé une faille derrière la porte du cabinet où son père consulte et, comme dans un film de Woody Allen, le garçon ne perd pas une miette de ces conversations secrètes si passionnantes.
Pour autant, le « sauveur » d’Orléans a-t-il des ennemis ? Il y a ces lettres anonymes reçues, ce piège contre le mauvais sort qu’il a trouvé à sa porte… Qui pourrait lui en vouloir ? Suspense…
C’est à une véritable radiographie des ados d’aujourd’hui à laquelle Marie-Aude Murail s’est attelée avec humour, brio et tendresse. On reconnaît ici et là les difficultés auxquelles les parents ont du mal à faire face : la complexité des familles recomposées, les enfants hyperactifs ou angoissés, le mal être trop prégnant, des parents défaillants voire toxiques… C’est un roman à placer autant dans les mains des ados que des parents car Marie-Aude Murail éclaire, pointe et nous tend un miroir bien salutaire. Tout ça avec une bonne dose d’humour et une grande bienveillance. Alors, tous psychanalysés ? Sûr qu’après la lecture de Sauveur & fils, on en redemande !
Rencontre.
Comment est né votre livre ?
Ça a commencé en lisant Le syndrome du sauveur et Le Manuel du borderline. Et surtout parce que je vois beaucoup de monde chez les enfants qui vont mal : des scarificatrices, des phobiques scolaires, des hyper actifs… et pas forcément dans des milieux très tourmentés. C’est là, autour de moi : la fille d’une amie, d’une cousine… alors forcément, ça m’interroge.
Je tourne beaucoup dans les écoles et je me rends compte que ça soulage beaucoup les enfants quand j’aborde ces sujets. Dans les rencontres, je trouve une parfaite écoute et ensuite, certains viennent me parler. Il y a donc quelque chose de sensible et je m’interroge : « Que se passe-t-il ? Est-on dans un pays particulièrement anxiogène ? Fait-on porter trop de choses à notre jeunesse ?»
Je crois que dans notre société, la frontière entre la vie des parents et celle des enfants est devenue trop poreuse. Les parents ne jouent plus le rôle de filtre, en tout cas ils ne l’exercent pas assez. Et c’est injuste pour les enfants qui captent tout et parfois essaient même d’aider leurs parents. Ils prennent trop sur eux, alors j’ai eu envie de les soigner !
Sauveur, c’est un peu la romancière alors ?
Oui, c’est sûr ! (rires) Je suis avec mon personnage tout le temps et avec les malades et j’adore ça.
Comment avez-vous trouvé ce panel de « cas » ?
Je me suis inspirée d’abord de ce que je connaissais. Cela a commencé avec la fille d’une amie, une super gamine qui était en 4e. Elle me raconte qu’un jour l’infirmière de son collège est entrée dans la classe et a demandé à tous les ados de remonter leurs manches, parmi elles, car ce sont surtout les filles qui font ça, il y en avait plusieurs qui avaient des traces de scarification.
J’en connais d’autres qui ne vont plus en cours, qui se sont déscolarisés. Et en parlant autour de moi, on m’a répondu « ah, c’est comme ma nièce ! » Une vraie épidémie. Dans une classe de Terminale L, ils étaient cinq élèves à avoir abandonné et à ne plus venir en cours… Ils ont peur, ils ont l’impression que toute leur vie se joue ici.
Les ados sont-ils en détresse ?
Il suffit d’appeler le Cned pour qu’on vous réponde direct : « c’est pour une phobie scolaire ? », donc ça a l’air bien homologué. C’est monté en puissance en tout cas, et maintenant c’est diagnostiqué.
Pourquoi avoir choisi un héros Antillais ?
C’est un peu un hasard. J’avais rencontré ce prénom « Sauveur » dans une bande dessinée, Carnets d’Orient (de Jacques Ferrandez, NDLR) et je l’avais trouvé très beau. Je me suis demandée qui pourrait porter un prénom pareil. Cela aurait pu être un Corse, et finalement j’en ai fait un Antillais. J’ai vécu de l’âge 22 à 23 ans aux Antilles et c’était peut-être une manière de revivre cette période. D’ailleurs j’ai relu toutes les lettres que j’avais écrites à ma mère à cette époque – une centaine ! – pour me remettre dans l’ambiance. Et tout est revenu : la botanique, les quimbois, la sorcellerie vaudou, les vieilles superstitions, la hiérarchie selon la couleur de peau… J’ai relu Pap Ndiaye sur la problématique des noirs en France, vu des films… et voilà.
Pour l’aspect psy, comment avez-vous procédé ?
Je suis allée discuter avec une psychologue clinicienne pour vérifier certaines choses, mais je ne lui ai pas fait lire le texte. Mon psy est un personnage de fiction et j’espère qu’il n’est pas trop hors norme. Il transgresse un peu, il fait des erreurs dans la mesure où cela reste crédible. Dans la saison 2, il se fait quand même remonter les bretelles par sa superviseuse (rires).
Sauveur, c’est un peu superman non ?
Oui, il va un peu trop loin, j’en ai conscience, il veut sauver le monde ! Aller jusqu’à offrir de vrais hamsters à ses patients, c’est trop. Les hamsters auraient dû être offerts en tant que concepts. Moi, j’en ai fait un peu trop avec ma hamsterothérapie !
Il s’occupe de tous pour ne pas avoir à s’occuper trop de son fils…
C’est le syndrome du sauveur, s’occuper des autres l’empêche de s’occuper de lui-même. Tout ce qu’il ne faut pas faire, il le fait avec Lazare. Mais c’est aussi ce qui le rend humain. J’ai raconté des scènes à cette psychologue qui m’a dit que mon personnage était borderline. C’est une manière de fuir sa propre histoire : tout ce qu’il ne faut pas faire, il le fait avec son fils, allant jusqu’à lui cacher en partie ses origines.
Il est faillible en tant que psy, et en tant que père puisqu’il a confié son fils pendant cinq ans à une nounou raciste. Il n’a pas voulu voir. Il est faillible et ça en fait quelqu’un de très bien ! (rires)
A quelle tranche d’âge s’adresse ce livre ?
Au Salon du livre cette année, je n’ai vu que des adultes ! Mais ce sont ceux qui ont grandi avec les livres de l’école des loisirs et qui assument complètement de me lire encore. Et cela peut être intéressant pour eux d’ailleurs de voir ce qu’est la jeunesse d’aujourd’hui.
Dans mon livre, il y a aussi des personnages de parents, qui sont faillibles, attachants ou perturbateurs et j’ai envie de montrer ça aux enfants. Dans la deuxième saison je vais montrer par exemple une femme hyper possessive qui conduit son fils à la violence. Mais pour répondre à votre question, le texte est très accessible, il peut être lu à partir de douze-treize ans.
Comment arrivez-vous à jongler avec tous ces nombreux personnages ?
J’arrive à m’y retrouver parce que j’ai lu Dickens. Dickens fait parfois parler plus de cent cinquante personnages, et on s’y retrouve forcément car il force le trait pour chacun. Il les type énormément, parfois jusqu’à la caricature : un phrasé, une attitude, un tic de langage, ce qui fait que l’on sait toujours qui parle. Les personnages sont toujours recadrés dans leurs dialogues et j’avais déjà expérimenté ça dans Vive la République ! (Pocket). Je savais que ça fonctionnait.
Depuis toute petite j’entends des voix. Tous mes personnages me parlent. Mais je ne suis pas schizo, hein, je ne leur réponds pas (rires) ! Je m’efforce pour que chaque phrase fasse avancer l’action, nous faire mieux entrer dans le personnage. Aucune phrase ne doit être gratuite. Et le secret de l’écriture, c’est de se demander à chaque fois, quelle scène va me réjouir ? Par exemple en ce moment j’aime beaucoup le personnage de Blandine qui a douze ans et qui percute bien. J’aime aussi les personnages de tout petits dans les 4, 5 ans. J’essaie de m’imprégner des personnages et de regarder à l’intérieur. Les personnages sont, comme nous, des poupées russes. On passe notre temps à essayer d’ouvrir les boîtes, mais c’est infini.
Y a-t-il des sujets tabous en relation avec les ados que vous n’avez pas encore évoqués dans vos romans ?
Pour moi, rien n’est tabou. Tout est dans la manière de le dire. Mais le sujet auquel j’ai longuement réfléchi et pour lequel je n’ai pas encore réussi à trouver l’angle qui permettrait d’espérer et éventuellement d’en rire, c’est la prostitution des mineurs.
Il y aura donc une saison 2 de Sauveur & fils !
Cela devait être un roman unique. Et quand je l’ai terminé, je me suis dit que j’avais encore plein de choses à dire, ce personnage de Sauveur me plaisait, je n’avais aucune envie de le quitter. La Saison 2 paraîtra en octobre et la saison 3 est en cours d’écriture. Je parle souvent d’histoires de familles monoparentales et souvent on me reproche d’avoir des pères pas terribles. Là, je vais vers une famille où il n’y a que des hommes. Sauveur le père, Lazare, son fils qui aura neuf ans et Paul, le copain de son fils qui traîne souvent là et puis Gabin. Il y aura aussi l’arrivée d’un SDF qui tiendra la figure d’un grand-père et qui est un ancien légionnaire… et sans doute c’est l’occasion pour moi de poser la question de l’éducation des garçons. Chaque enfant doit faire son propre chemin, et je me pose la question avec Lazare et Paul, sur le chemin que doivent faire les garçons.
Et pour les petits ?
A l’automne paraîtra aussi un titre pour les plus petits, Zappeland qui se passe en 2054 (j’aurai 100 ans !) C’est le pays de l’après Fahrenheit 451. Ce n’est pas une dictature ni un monde angoissant, c’est juste un monde futuriste. Chez la maîtresse Madame.com, la lecture est optionnelle… C’est une sorte de conte d’avertissement, pas moralisateur, plutôt drolatique pour des 7/8 ans.
Sauveur & fils – saison 1
Marie-Aude Murail
330 p. l’école des loisirs, 17 € (dès 12 ans)
© photo Marie-Aude Murail : Claudie Rocard-Laperrousaz
[…] si vous préférez vous faire convaincre directement par l’auteure, voici une chouette interview où elle parle avec tendresse de ses […]