Marie Desplechin m’accueille au Salon du livre avec son sourire et son franc-parler. Lunettes relevées sur cheveux noués, écharpe verte autour du cou, yeux rieurs, elle vient d’effectuer une séance de signatures sur le stand Gallimard pour La belle Adèle et Le bon Antoine (le 5 avril en librairie). Un roman très drôle destiné aux ados avec un style comme ses yeux, frais et pétillants.
Antoine est un ado typique, pas trop bosseur, bon camarade, attachant. Alors que son cartable a disparu depuis trois jours, il est convoqué chez le proviseur. Miracle, le cartable a été retrouvé ! Sauf que. Sur son cahier de texte, trône le même tag que ceux qui ornent les murs du collège. Un vrai flag. Mais comment avouer qu’il y a erreur sur l’artiste lorsque celui-ci est votre meilleur pote Thomas que vous ne pouvez décemment pas dénoncer ? C’est ainsi que, par amitié, Antoine effectue une semaine de travaux d’intérêt général et découvre les effets dévastateurs de la loi de Murphy, la loi de l’emmerdement maximum, car évidemment les ennuis ne font que commencer… Rencontre.
Comment est née l’idée du Bon Antoine ?
Marie Desplechin. « C’est parti de l’envie de faire un jumeau à La Belle Adèle qui avait été une expérience très joyeuse et qui a bien marché. Je suis repartie du même principe. La Belle Adèle était fondée sur l’histoire vraie d’une amie au collège, qui avait fait semblant de sortir avec un copain car à l’époque elle était anorexique et lui savait déjà qu’il préférait les garçons. Là aussi, c’est un ado que je connais qui a fait une semaine de travaux d’intérêt général pour avoir tagué dans le collège, alors que c’est l’un de ses copains qui l’avait fait (a-t-il juré !). Tout le principe est le même, on lui a piqué son sac, il l’a perdu pendant trois jours, quand il le retrouve il est convoqué par la CPE qui lui montre « ce tag… si ce n’est pas toi, c’est qui ? » Voilà comment pendant une semaine il a dû se lever tous les matins à 6h pour aller faire le ménage. Et puis dans Adèle il y avait l’histoire du battement d’ailes du papillon qui entraîne le tsunami, là Antoine est confronté à la loi de Murphy, la loi de l’emmerdement maximum. C’est une théorie qui permet de créer un vrai comique de situation.
Comment est apparu le personnage de Bébé, cette jeune femme délurée qui bosse dans l’équipe de ménage, faute de mieux ?
M.D. Pour Antoine, comme pour cet ado qui m’a inspirée, c’est mieux de faire le travail de ménage au collège que d’y aller. C’est mieux de faire quelque chose que de s’ennuyer tout simplement. Et je me suis dit que ce serait bien qu’il y ait quelqu’un de sympa dans l’équipe, quelqu’un de proche de lui en âge. Je trouve ça joli les histoires d’un jeune adulte avec un plus jeune. C’est sans doute lié à l’expérience que j’ai eue récemment avec La Classe, le livre que j’ai réalisé chez Odile Jacob, où j’ai fait travailler ensemble des étudiants de Sciences Po et des collégiens issus de milieu populaire, à Lille. Les collégiens étaient fascinés par les étudiants, c’était magnifique. Ils me disaient « Madame, elle est tellement bien l’étudiante que vous m’avez donnée. » On leur avait donné quelqu’un ! Le simple fait d’être écouté de manière bienveillante et de pouvoir partager avec eux, c’était un cadeau.
Au final, les rôles sont plutôt inversés ! Antoine devient plus « adulte » en côtoyant Bébé, la jeune adulte immature. Y-a-t-il un message ?
M.D. Oui, c’est le côté pédagogique du roman, il devient « grande personne ». C’est un phénomène que j’ai constaté autour de moi, par exemple un des copains de mon fils, quand il avait douze ou treize ans, a eu un petit frère et toute la bande des garçons et des filles étaient à genoux devant ce gosse. Ils l’adoraient, il y a quelque chose de très gratifiant à cet âge de s’occuper des tout petits. Mais bon, si je fais passer des messages, c’est bien malgré moi, je ne voulais pas faire passer de messages, je vous le jure (rires) ! Ce sont plutôt des messages pour les adultes que je voulais mettre : il faut un diplôme pour dire bonjour, on ne peut plus rien faire sans études. Beaucoup de métiers pour les gens de ma génération s’apprenaient sur le tas. Aujourd’hui il faut au minimum cinq ans d’études pour faire un truc qu’on obtenait avant sans son bac, pourquoi ? Pour faire travailler les adultes et empêcher les jeunes d’entrer sur le marché du travail, voilà ma perception de la formation aujourd’hui.
Les parents sont un peu côté de la plaque, non ?
M.D. Demandez à n’importe quel adolescent que vous croisez dans la rue ce qu’il pense de ses parents, en le faisant parler sincèrement… Je trouve Antoine plutôt gentil avec eux par rapport à la moyenne.
Vous vous concentrez de plus en plus sur la littérature jeunesse ?
M.D. Je suis assez influençable, donc si ça marche bien, j’ai envie de refaire la même chose. Il faudrait que je prenne le temps d’entreprendre une suite au Monde de Joseph. Sur le plan de l’écriture, avec les Yeux d’or, c’est sûrement ce que j’ai fait de mieux. Mais mon plaisir est celui d’un petit club, j’ai peu de temps et je fais beaucoup de choses ! En ce moment j’écris pour les plus jeunes (6-7 ans), à la demande de France Culture, une adaptation de la Boîte à joujoux qui sera joué à la salle Pleyel. C’est construit sur un récit d’André Hellé, qui date de 1917 qui était trop classique, il fallait donc repartir de ce récit-là. Cela fera peut-être un jour un livre disque… Je vais refaire aussi un album avec Emmanuelle Houdart avec qui j’avais adoré travailler, aux éditions Thierry Magnier, cette fois sur la thématique de l’argent, un sujet complexe et très vaste ! Enfin, cela fait des années qu’on me demande un tome 3 à Verte, à l’école des loisirs, et cette fois je crois que j’ai trouvé l’idée…
On sent, à la lecture, que vous aimez écrire pour les ados.
M.D. Mais j’aime tout le monde ! Mais oui, j’aime écrire pour les ados, je les trouve touchants. J’écris des choses qui sont gentilles car quand je les regarde vivre, je vois des choses glaçantes. Facebook c’est dur, ils y sont tout le temps, ils surveillent leur image, ils chargent certaines personnes, ils se montrent, ils se dévoilent, ça se retourne contre eux, c’est une espèce de boomerang qui les maintient dans un état d’alerte permanent. Comment à cet âge peut-on gérer l’image de soi ? Ils vivent des choses violentes. J’ai l’impression qu’il y a de la drogue, de l’alcool partout il faut vraiment se structurer au mieux de tout ça. Il y a tellement d’injustices, je pourrais écrire des livres qui parlent de ça mais je pense que d’autres le font mieux que moi. Je préfère écrire quelque chose qui, pendant deux heures, fera rire. Le bon Antoine est un feel-good book, un moment de lecture où on peut se sentir compris. J’ai envie qu’en lisant ce livre, on sente que quelqu’un vous aime bien.
Empathie serait un mot clé dans votre écriture ?
M.D. Bien sûr, tous les auteurs qui écrivent pour les enfants fonctionnent sur un phénomène d’empathie. On ne peut pas rester sur soi, il faut qu’on se projette, il y a une forme de tendresse. Quand j’écris pour les adultes, c’est plutôt documentaire, je suis curieuse, ce sont des histoires de gens. Mais entre choisir d’écrire un livre qui rendra très heureuse une dame de trente-deux ans ou très heureux une fille ou un garçon de douze ans, je prends douze ans ! Douze ans c’est super joli, c’est l’âge où on se construit. Le livre reste à l’état de trace et participe à la construction de vous, ce n’est pas juste un moment, c’est quelque chose de beaucoup plus touchant. Aujourd’hui quand je vois arriver les trente-deux ans qui me disent : « Ah madame je lisais vos livres quand j’étais petite », ça c’est le top ! On peut toucher le temps, ses enfants on ne les voit pas grandir mais les autres qui arrivent en disant« Je vous lisais quand j’étais petite… »
Le bon Antoine
Marie Desplechin
Gallimard jeunesse
240 pages 12,50 €
dès 12 ans