Comment transmettre le message de Primo Levi à de jeunes adolescents ? C’est l’objectif de cette bande dessinée très réussie, signée Matteo Mastragostino et Alessandro Ranghiasci, qui met en scène un Primo Levi venant témoigner auprès d’enfants dans une classe, comme il le fit à maintes reprises.
« Combien de fois je les ai écrits…
Ils me sont apparus dans tellement de cauchemars !
Un… sept…. Quatre…
Vous savez, les enfants, quand j’avais votre âge, j’aimais beaucoup les chiffres…
Cinq… un… et enfin sept.
Mais je ne pouvais pas imaginer que j’allais en porter six sur le bras toute la vie.»
Le scénariste italien Matteo Mastragostino se souvient de l’annonce de la mort de Primo Levi, et le choc que ce fut pour lui. Il était pourtant encore un enfant lorsque l’écrivain se donna la mort, il y a maintenant un peu plus de trente ans.
Matteo Mastragostino a voulu transmettre à son tour le message de cet infatigable témoin de l’enfer des camps. Il imagine ici, à partir des textes de Levi et de tous ceux qui ont écrit sur lui, l’homme venant témoigner dans une classe, comme il le fit à maintes reprises. Le Primo Levi que l’auteur aurait aimé rencontrer raconte à des enfants d’une dizaine d’années son expérience du lager. Car cet infatigable témoin se déplaça dans plus d’une centaine d’écoles pour transmettre son message.
« J’ai été élève de cette école il y a bien longtemps. J’ai été chimiste, et je crois l’être encore. Je suis écrivain, en tout cas c’est ce qu’on dit. Et je suis un juif rescapé d’Auschwitz. Je le serai jusqu’à la fin de ma vie. »
Au fil de son récit, face à des enfants un peu turbulents se demandant ce qu’un vieil homme d’apparence si frêle peut bien raconter de la guerre, surviennent les flashbacks. On découvre ainsi un Primo Levi, jeune homme, entrant chez les Partisans [le nom italien pour Résistants], avec Vanda, l’amour de sa vie, le souvenir trouble de deux de leurs camarades abattus, la dernière nuit dans les montagnes au col de Joux, avant son arrestation et l’envoi au camp de Fossoli. Puis ce sera le long trajet dans les wagons à bestiaux pour Auschwitz…
On découvre aussi ses souvenirs en tant que chimiste, sa timidité vis-à-vis des femmes, la réalité du lager, les barbelés, l’esclavage, la survie, sa chance d’avoir pu être sélectionné pour travailler au laboratoire du camp grâce à son diplôme – ce qui le préservera un peu du froid – les amis qu’il rencontre là-bas, Alberto et Lorenzo, la réalité de la « sélection » et comment Lorenzo l’aida à survivre.
Primo Levi confie aux enfants le sentiment de culpabilité éternelle de n’avoir rien pu faire pour ceux qui sont restés, l’impossibilité de s’organiser pour se rebeller. Il délivre aussi un message d’espoir, celui de l’apprentissage des langues. Pour être compris, il faut savoir se faire comprendre, parler avec les autres. Connaître une seule langue ne suffit pas. Connaître plusieurs langues au lager, en l’occurrence l’allemand, pouvait conditionner sa propre survie.
Le dessin dépouillé d’Alessandro Ranghiasci sert le propos et renforce la fragilité des personnages. Leurs visages réduits aux expressions les plus sobres nous place à la fois face à la réalité terrible des camps, mais permet aussi la compréhension et l’accessibilité aux adolescents.
En attendant de pouvoir lire Si c’est un homme ou La Trêve, c’est une bonne première approche pour comprendre la réalité des camps de concentration et l’importance du témoignage. C’est aussi l’occasion de découvrir un auteur magnifique qui éleva le témoignage historique au plus haut rang de la littérature.
Un travail de mémoire nécessaire pour qu’on n’oublie jamais, comme l’exprime ici le personnage de Primo Levi : « Je ne prétends pas que vous compreniez. Je sais que c’est impossible. Ce que nous craignions, c’est de ne pas être crus, que tout soit oublié. »
PRIMO LEVI
Matteo Mastragostino, traduit de l’italien par Marie Giudicelli
ill. Alessandro Ranghiasci
116 p., Steinkis, 16 €
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