Et si dans un futur proche, les homosexuels étaient stigmatisés comme les juifs dans la France occupée ? Avec Embardée, Christophe Léon imagine un monde bien pensant où les familles issues du mariage pour tous seraient confinées dans un ghetto, histoire de ne pas contaminer les autres. Avec ce roman de « social-fiction », l’auteur nous invite à rester vigilants face à la montée de toutes les tentations extrémistes. Édifiant !
« Je me prénomme Gabrielle et j’attends mes papas.
J’aurais bientôt treize ans. Mes parents m’ont eue alors que j’avais six mois.
Ils sont venus me chercher en Afrique, en Somalie, pour être plus précise à Mogadiscio,
puis ils sont rentrés en France et nos vies se sont métissées
pour former une famille unie et heureuse – je crois – non, j’en suis sûre ! »
C’est un roman court. Incisif. De la SF qui frappe à nos portes. Christophe Léon est champion pour nous offrir une plongée dans nos sociétés malades et nous embarquer loin, là où l’on n’a pas envie de regarder.
Hier, c’était la fuite des responsabilités civiles face à la responsabilité paternelle, avec le formidable Délit de fuite. Puis l’auteur s’est emparé de la détresse au travail et du harcèlement moral, dans La Vie est belle, et plus récemment il remettait la crise au centre des questionnements dans X-Ray la crise.
Avec ce nouveau roman, Christophe Léon imagine la dangereuse montée, en France, de la stigmatisation des familles homosexuelles post-mariage pour tous.
George et Phil sont deux artistes reconnus, sculpteurs, peintres qui travaillent et élèvent ensemble la petite Gabrielle qu’ils ont adoptée après leur mariage. Ils vivent de leur art dans une harmonie épanouissante pour l’enfant et pour leur couple. Mais l’humeur ambiante change.
La Ligue pour les Valeurs Familiales gagne la mairie, mais ne compte pas s’arrêter là. Peu à peu, voilà Phil et George – comme bien d’autres – pointés du doigt : ce sont d’abord les parents à l’école, puis des camarades de classe qui demandent à Gabrielle de « retourner dans son pays », des galeries officielles qui refusent d’exposer les artistes… Et bientôt les lois se durcissent : deux personnes du même sexe s’embrassant dans un lieu public deviennent passibles d’une amende. Le jour où Phil et George voient leur réservation de vacances annulée, car leur hôtel vient de recevoir le label « Hôtel Famille Traditionnelle », le jour où ils reçoivent un avis de recensement ainsi qu’un losange rose à épingler sur leur veste, ils savent que le monde marche sur la tête !
Mais ce n’est bien sûr que le début, car les voilà contraints de quitter leur bel appartement-atelier parisien pour emménager en banlieue dans un ghetto, surveillé par une milice. Ne plus sortir sans autorisation spéciale, ne plus avoir accès à Internet, voilà leur sort et ce à quoi ils ne peuvent se résoudre.
Alors ils vont utiliser la meilleure des armes : leur art. Ensemble, ils préparent en cachette une exposition de photos qui va faire grand bruit, car ils ne veulent plus taire les humiliations. Une exposition d’une grande force humanitaire comme un cri révolutionnaire, car comme le dit Phil, « Humains, voilà le seul genre que j’admets.»
C’est un roman qui fait froid dans le dos et qui se dévore comme un polar ! Christophe Léon attire notre regard sur le besoin de tolérance, le message d’altruisme, d’amour face à la montée grandissante de toutes les intolérances. Et un appel à rester vigilant, comme la question que se pose Phil au début du roman :
« La loi est-elle toujours légale ?
– Elle est bizarre papa ta question.
– Pas tant que ça, Gabrielle.
– Résister, dit George, c’est souvent s’opposer à une loi ou à un règlement. »
Et c’est bien un roman qui appelle à réveiller l’esprit de résistance :
« Nous ne sommes pas dans la France de 1940, tout de même !
– Non, et c’est pire. Aujourd’hui nous voyons l’Histoire se répéter
et personne ne lève le petit doigt. »
Christophe Léon nous secoue, pour mieux nous faire réfléchir et garder en nous bien vivace ce qu’il reste de la plus belle idée de la démocratie, la tolérance, le vivre ensemble.
La démocratie… tiens, tiens, un sujet qui mériterait un prochain roman de Christophe Léon.
Le blog de Christophe Léon
Embardée
Christophe Léon
La Joie de Lire, 92 p., 13 €
(dès 12 ans)
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