Vous prendrez bien une bonne dose de courage ? Si l’on compte nombre de romans traitant de la Résistance côté français ou anglais, les textes de littérature jeunesse évoquant la Résistance vue d’Allemagne sont plus rares. Jean-Claude Mourlevat, auteur de treize romans, ancien professeur d’allemand et traducteur, raconte le destin de Sophie Scholl, plus jeune membre du groupe de résistance La Rose blanche, qui comme des centaines d’Allemands tenta de combattre avec peu de moyens, le régime nazi. Le mouvement La Rose blanche auquel appartenait Sophia Magdalena Scholl et son frère Hans est sans doute le plus connu, à travers son icône, arrêtée avec son frère le 18 février 1943 par la Gestapo, alors qu’ils distribuaient des tracts antinazis à l’intérieur de l’université de Munich. Ils seront jugés et exécutés quelques jours plus tard.
Pourquoi avoir choisi d’écrire sur la résistance allemande ?
J.-C. Mourlevat. C’est la première fois que je fais un livre sur commande ! Muriel Szac m’avait sollicité pour écrire dans la collection « Ceux qui ont dit non » et je lui avais répondu que si je le faisais, mon héroïne serait Sophie Scholl. Cela vient de loin, j’étais au lycée lorsque notre professeur d’allemand nous a fait découvrir un extrait de La Rose blanche, le livre d’Inge Scholl, la sœur aînée de Sophie. Cet extrait racontait le passage où Sophie prend le train pour Stuttgart, une valise pleine de tracts. Le courage de cette jeune personne m’avait frappé et je l’ai gardé en tête toute ma vie.
Comment avez-vous procédé ?
J.-C.M. C’est la première fois que je me documente pour écrire, d’ailleurs quand j’ai commencé j’avais presque trop d’informations. J’ai écrit selon la charte de la collection qui est un équilibre difficile à trouver : le roman empreint de la réalité historique. Il existe également deux films sur son histoire. Sophie Scholl, les derniers jours [de Marc Rothemund], réalisé en 2006, est excellent. Pour écrire le film, ils ont eu accès aux archives de la Stasi et aux minutes du procès, je m’en suis également inspiré.
Qui sont ces jeunes de la Rose blanche ?
J.-C.M. Ils sont cinq au départ, Christoph Probst, Alexander Schmorell, Hans Scholl, Willi Graf et le professeur Kurt Huber, avec une discipline très stricte afin de conserver l’aspect clandestin. Sophie ne rejoint le groupe que plus tard, lorsqu’elle arrive à Munich pour aller à l’Université. Comme elle cohabite avec son frère, là, elle s’aperçoit qu’il se passe des choses… et rejoint naturellement le mouvement.
Quel était leur mode opératoire ?
J.-C.M. C’était principalement des tracts qu’ils distribuaient dans d’autres villes en prenant des trains, seuls. Mais aussi des affiches qu’ils collaient ou des slogans qu’ils inscrivaient sur les murs à la peinture ou au goudron.
Ils étaient jeunes. Comment nourrissaient-ils cette conviction ?
J.-C.M. Les enfants Scholl, comme 98% des jeunes Allemands, ont fait partie des jeunesses hitlériennes. On campait, on faisait des feux, c’était exaltant ! Comment résister à cela quand on a quinze ans ? Mais
dès l’âge de 16 ans, Hans n’y croit plus. Il aimait chanter et jouer de la guitare, or très vite on lui interdit de chanter les chants norvégiens qu’il aimait. Il y a des mots qui apparaissent comme « camps de concentration » et les écrivains qu’ils ne peuvent plus lire… Les enfants Scholl viennent d’une famille d’intellectuels, ils lisent, écoutent de la musique, vont au musée. Ils écrivent des lettres innombrables. Sophie écrit presque chaque jour. J’ai lu les Lettres et carnets de Hans et Sophie qui relatent leur correspondance. Ce sont de très beaux textes où ils parlent de leurs convictions, d’une manière assez contournée tout de même.
Du côté de Sophie, j’ai l’intuition qu’il y a quelque chose à voir avec le sacrifice, une forme d’apaisement, l’idée d’avoir trouvé sa place. D’ailleurs à la fin du film, lorsque la parole est donnée aux trois jeunes pour la dernière fois au procès, Sophie dit « Ce que nous avons dit et écrit, beaucoup le pensent, mais personne n’ose le dire ». Mais dans la réalité, il paraît qu’elle se lève et qu’elle ne dit rien. Vous vous rendez compte ? Elle ne dit rien du tout. Elle est déterminée.
La Rose blanche était-il un mouvement isolé ?
J.-C.M. Il y a eu des mouvements de résistance dans toutes les grandes villes allemandes, principalement les villes universitaires ainsi qu’à l’étranger, à Vienne, à Prague… Les membres essayaient d’entrer en contact les uns avec les autres. C’était principalement des étudiants, des professeurs, des pasteurs aussi. Sophie et Hans Scholl sont des icônes en Allemagne – un peu comme Guy Môquet chez nous – Sophie est si jeune, 21 ans, et si émouvante qu’elle était toute trouvée pour incarner la bonne conscience allemande. Il existe un Mémorial à Munich, près de l’Université où ils ont été arrêtés (ndlr qui symbolise le lancer des tracts anti-Hitler sur le sol). Mais il y avait d’autres mouvements comme l’Orchestre rouge à Berlin ou la Main noire, en Alsace, par exemple.
Robert Scholl et ses enfants Inge, Hans, Elisabeth,
Sophie et Werner vers 1930, 1931 à Ludwigsburg.
Comment pouvait-il avoir une vision politique aussi développée ? Vous dites que leur tract « évoque déjà une Allemagne fédérale. Il annonce les fondements d’une société nouvelle. Il parle de conscience d’honneur retrouvé. »
J.-C.M. Les enfants Scholl sont élevés dans une famille protestante avec un père, Robert, qui a des idées très différentes des idées politiques de l’époque. C’est lui-même un résistant. Il a d’ailleurs été emprisonné pendant quatre mois en 1942 pour avoir traité Hitler de « Fléau de Dieu ». Les enfants sont influencés par les idées politiques du père et par leur foi qui est très contradictoire avec ce à quoi ils assistent dans le régime nazi : la chasse aux juifs, aux handicapés etc.
Que transmet cette histoire aux jeunes générations ?
J.-C.M. La conviction de cette jeune personne. Sophie est le courage absolu. C’est une héroïne et nous avons besoin de croyance. Elle a une foi religieuse, soit, mais elle a surtout la foi en son action, elle voit qu’on peut changer les choses, qu’on peut faire bouger le monde même si c’est perdu d’avance. C’est magnifique et c’est bouleversant. C’est une très belle leçon. On ne demande pas au gens de sacrifier leur vie bien sûr, mais juste avoir un peu de courage au quotidien. Regardez les filles russes du Pussy Riot, elles ont du cran, quand on regarde leur plaidoirie, elles sont vaillantes. Et à l’heure où nous parlons, elles sont emprisonnées pour deux ans.
Sophie Scholl « Non, à la lâcheté »
Jean-Claude Mourlevat
92 p., Actes Sud junior, coll. Ceux qui ont dit non, 8 €
dès 11 ans
Bernard Gobalet dit
Bonjour,
Sophie Scholl était protestante, pourquoi JCM affirme-t-il qu’elle était catholique?
Merci de votre réponse et meilleures salutations
Nathalie Riché dit
Bonjour, l’auteur a voulu dire que les enfants Scholl avaient reçu des principes d’éducation religieux, je rectifie. Merci de m’avoir signalé cette scorie.
N.