Jusqu’au bout Tomi Ungerer est resté un éternel jeune homme. Un créateur joyeux qui dans son dernier livre Ni oui ni non répondait avec sérieux, humour ou poésie à 100 questions philosophiques d’enfants. Un livre en forme de testament pour ses petits lecteurs.
Pourquoi j’existe toujours ? Marco, 5 ans.
Tomi Ungerer : « D’abord, on n’existe pas toujours, mais seulement tous les jours de notre existence. Et après ? On risque d’aller exister ailleurs… Pendant le sommeil, on existe moins. C’est pourquoi le fainéant existe peu. Exister, cela consiste à être conscient de sa présence sur terre et à agir en conséquence. Cela nécessite d’avoir les yeux grands ouverts ! »
Il nous a quittés il y a quelques jours, à l’âge de 87 ans. J’ai eu la chance d’assister à une rencontre, il y a un an, à l’occasion de la sortie de son dernier livre publié en France Ni oui ni non. Un livre dans lequel il avait répondu aux questions philosophiques posées par des petits lecteurs sur une idée d’Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de Philosophie Magazine.
Il était arrivé au rendez-vous tout fringuant en baskets, chapeau noir, lunettes de soleil et redingote noire achetée la veille dans une friperie avec sa fille. Le sourire large, il se régalait à l’avance de ce qu’il allait nous raconter, ce sacré brigand !
Dans ce livre, il s’est prêté bien volontiers au jeu des questions/réponses des enfants : « Les adultes n’ont pas réponse à tout, mais on doit une réponse aux enfants ! » Des questions tour à tour sérieuses, profondes et parfois loufoques ou incongrues… C’est pourquoi les réponses de l’auteur sont parfois graves, fantaisistes ou oniriques. « Il y a des questions formidables : « Est-ce que mes poux, une fois qu’ils sont morts, vont au cimetière ? » Même Breton et les surréalistes n’auraient pas trouvé ça ! »
Alexandre Lacroix envoie les questions et Tomi, depuis sa maison en Irlande, y répond par fax de façon manuscrite et spontanée : « J’ai laissé beaucoup de fautes d’orthograves ! ahah ! », s’amuse-t-il.
Dyslexique, Tomi aime déformer les mots : « C’est un énorme avantage, ça me permet d’insuffler une nouvelle vie à des mots », raconte l’illustrateur qui aime à dire qu’il réfléchit avec ses mains : « Au bout de chacun de mes doigts, il y a une petite cervelle… »
Ce livre Ni oui ni non est une formidable opportunité pour stimuler les jeunes lecteurs, provoquer leur curiosité. Car selon Tomi Ungerer « Stimuler l’imagination, c’est la clé de la pédagogie. » Il a donc répondu parfois avec des mots savants comme « infundibuliforme » car « il faut pousser les enfants à aller voir dans les dictionnaires » et parfois de manière plus fantaisiste.
Comment les hommes sont arrivés sur la Terre ? Pauline, 5 ans.
T.U. : « Ils sont originaires d’une autre planète, aujourd’hui disparue. A l’époque, ils avaient contacté une agence de tourisme interspatiale, qui leur garantissait un séjour inoubliable dans un monde saturé de surprises. Hélas ! Il n’était pas spécifié que le retour n’était pas inclus dans les frais du voyage. Largués et un peu simiesques à l’origine, ils se multiplièrent pour peupler la Terre entière. Cela explique pourquoi les migrations et le tourisme font partie de notre héritage génétique. »
En littérature de jeunesse, il y a un avant et un après Tomi Ungerer. Son œuvre est considérable, sans compter son métier d’affichiste, ses dessins érotiques… Comment est-il devenu un classique de son vivant ? Réponse : « Je suis devenu un classique parce que j’ai transgressé toutes les règles. La vie n’est pas très rigolote, à moins qu’on la transgresse », répondait celui qui n’a eu de cesse de faire vivre l’enfant resté en lui.
Ce provocateur né qui développe l’humour non-sense et la satire raconte volontiers le traumatisme de la guerre, ayant vécu dans une poche de Colmar, trois mois sous les tirs. Il avoue combien cette expérience l’a marqué à vie, comme un « tatouage spirituel ». Pas étonnant que le thème principal qui traverse son œuvre et qu’il revendique soit l’effroi : « Il faut traumatiser les enfants sinon ils deviendront tous experts comptables ! » dit-il en riant. Ses albums, des Trois Brigands en passant par Le Géant de Zeralda, jusqu’au plus récent Maître des Brumes mettent en scène des enfants qui n’ont pas froids aux yeux et s’en sortent toujours : « J’ai hérité cela de ma mère, mes personnages n’ont jamais peur face aux adultes. »
Ce provocateur de génie vivait depuis quarante-cinq ans en Irlande. « Je ne suis plus tiraillé entre la France et l’Allemagne. En Irlande je suis libre, c’est un pays sans arrogance où il y a encore le sens de l’humour. » Lors de cette rencontre il rappelait combien cette liberté lui était chère, lui qui avait été longtemps censuré : « C’est un honneur d’avoir été banni des Etats-Unis ! (éclats de rire) La résurrection c’est formidable. »
On aimerait tellement Tomi, on aimerait.
Le site officiel de Tomi Ungerer
Ni oui ni non
Tomi Ungerer
96 p., l’école des loisirs, 16 €
(dès 7 ans)
Portrait de Tomi Ungerer © Gaetan Bally/Keystone
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