Soleil glacé, c’est l’art de transformer une douleur en une tendresse infinie. Séverine Vidal touche au cœur avec son héroïne, qui à la mort de son père, rencontre un frère caché, un Pierrot pas comme les autres…
« Ton père est mort (…)
– Tu le prends comment ?
– Je ne le prends pas du tout, pour l’instant, je ne sais pas.
Je préférerais savoir ce que je ressens, mettre des mots dessus. Si j’avais été envahie, d’emblée, presque brutalement par le chagrin, ça m’aurait semblé plus facile. Mais je n’ai rien à signaler, pas l’ombre d’une larme, en moi rien n’est en morceaux. Je ne suis pas en colère, je n’ai pas envie de hurler, de me taper la tête contre les murs. Je me sens privée d’émotion. Totalement incapable de ressentir quoi que ce soit, le vide. Une fille qui s’appelle Luce a eu une dispute avec son ex-copain, l’a surpris avec une autre. Juste après, comme si la vie n’avait pas suffisamment fait sa salope, elle a appris la mort de son père. Mais cette fille n’est pas moi. Moi je suis éteinte, on dirait…»
A l’enterrement de son père si souvent absent, Luce, vingt ans, découvre des convives improbables. « L’autre » femme de son père, elle la reconnaît de suite.
Comme dans un film de Truffaut, Luce avait aperçu un jour son père sourire à cette femme dans la rue « et de cette façon-là, comme ça n’est jamais arrivé avec maman ». Enfant, elle a grandi avec ce demi-secret dont elle ignorait pourtant l’essentiel… un frère de son âge ! Un peu rude comme cadeau d’enterrement.
Mais elle découvre que Pierrot n’est pas comme les autres. Handicapé, il vit la plupart du temps dans un foyer. Jour après jour, Luce laisse des messages de rage, de tristesse, d’incompréhension sur le répondeur vocal de ce père qui ne répond plus « trop occupé à mourir »… Alors, pour mieux faire le deuil de ce père qui l’a malmenée, mal aimée et lui a caché cette double vie, elle décide comme une réparation, de mieux connaître ce frère.
« Mon Leica me dit que la vie est immédiate et fulgurante », disait le photographe Henri-Cartier Bresson. C’est de cette fulgurance-là dont il est question dans la rencontre entre Luce et Pierrot, comme une attraction, une tendresse, une fraternité évidente.
Rattraper le temps perdu. Sans le dire à sa mère Jo, qui vit désormais avec Hélène, Luce rend visite à son frère, et de plus en plus souvent, proposant même un peu d’aide au foyer en mal de petites mains. Elle se sent connectée à ce grand type mal à l’aise et ne peut s’empêcher de fondre face à ce frère bourré de tics et qui répète ses phrases en boucle. Très vite, les surnoms et les codes giclent entre eux : « p’tit con ! », « zappe ton zip !» Pierrot se laisse faire et Luce l’entraîne à outrepasser les règles bien cadrées du foyer dans une partie de cache-cache. Avec sa spontanéité, ses faiblesses et ses troubles, « l’X fragile » (nom du syndrome génétique dont souffre Pierrot) la désarme autant qu’il la charme, et Luce veut faire quelque chose de marquant pour lui. Lorsqu’il lui confie que son grand rêve est d’aller en Laponie rencontrer le Père Noël, la jeune femme n’hésite pas.
Elle va mettre à exécution un projet fou. Une escapade rien qu’à deux. Pour vivre une aventure ensemble, se connaître, partager des rires, une galère, un projet. Parce que deux vies ont été volées, alors tous deux « vont faire la bêtise », s’enfuir ensemble pour « casser le mur que Paul a dressé entre eux » comme un pied de nez à ce père qui a disparu en laissant un trou et des questions immenses.
D’une sensibilité et d’une empathie extrême, sans jamais verser dans le sentimentalisme, Séverine Vidal touche au cœur avec ses deux héros. Luce, la frondeuse, qui jure comme une charretière et n’a pas froid aux yeux dénote avec Pierrot, grand poussin archi sensible, à côté de ses pompes mais si heureux d’avoir trouvé cette sœur. C’est dans un road trip pas comme les autres que ce duo inattendu nous embarque pour le pays des neiges… Iront-ils jusqu’au bout ? Surprise !
Inspiré entre autres par des ateliers d’écriture que l’auteure a menés dans des foyers pour handicapés, ce roman généreux touche au plus juste et raconte à travers ce secret de famille, combien dans chaque pénombre peut aussi se cacher une rose. En allant y voir de plus près, on ne va pas fatalement se piquer, plutôt laisser s’ouvrir son cœur.
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Le blog de Séverine Vidal
Soleil glacé
Séverine Vidal
244 p., Robert Laffont, coll. R, 16,50 €
(dès 13 ans)
séverine Vidal dit
Merci infiniment