C’est un roman sensible et doux. Ce que diraient nos pères de Pascal Ruter dont on avait aimé Le Cœur en braille nous touche avec cet ado en déroute, empêché par le trop grand chagrin de son père. Le roman est en lice pour le prix Vendredi.
« (…) Antoine remonte le col de sa veste, enfonce les poings dans ses poches. Ses cheveux mouillés lui dégoulinent dans la nuque et sur le front. Il se déplace dans la pénombre. Les jours rallongent déjà. Il y a quinze jours, quand il a quitté le garage de son patron pour entamer sa session de cours au lycée, il faisait déjà nuit à cette heure. (…) Un jour, le prof lui avait dit qu’il devrait s’inscrire au club ; qu’il était doué ; qu’il avait une bonne foulée, des gestes précis, un bon timing. Il manquait de souffle, de patience… Comment il s’appelait déjà ce prof ? Impossible de se souvenir. J’oublie tout en ce moment, pense Antoine. J’oublie tout depuis des mois. J’ai la tête trouée. »
On sort de la lecture de Ce que diraient nos pères tout chamboulé. Parce que cette histoire peu banale, pourrait arriver finalement à n’importe qui.
Antoine est un ado un peu perdu. Parce qu’il a décidé d’arrêter la filière générale, de partir en apprentissage en mécanique, parce qu’il a renoncé à ce qu’il aime : le théâtre, la littérature… parce que sa mère est partie vivre dans le Sud mais que le garçon a choisi contre toute attente de rester au Havre avec son père en déroute.
Les hautes falaises crayeuses de la région qu’Antoine arpente souvent appellent-elles au saut dans le vide qu’a fait l’adolescent ? Renonçant à une vie qui semblait toute tracée, heureuse, il a sauté sans trop calculer, peut-être pour se lancer une sorte de défi à lui-même. Et parce que par peur, parfois, on préfère faire le mauvais choix. Il verra plus tard si le parachute qu’il a choisi n’était pas troué.
La raison de ce chamboulement, c’est un enchaînement de malchances arrivées à son père, un chirurgien réputé. Une opération de l’appendicite qui tourne mal dont il n’était pourtant pas responsable mais qu’il doit endosser, un mauvais procès, la menace de prison, la radiation de l’ordre des médecins, le chômage… et voilà que tout tourne mal pour toute la famille dans cette guerre trop grande pour eux : le départ de Rachel, sa femme, le renoncement aux brillantes études pour Antoine et peu à peu la descente aux enfers.
Face à l’injustice, Antoine a choisi la solidarité avec son père, malgré la honte, malgré le cours de sa vie à lui qui dérape, comme si le chagrin de son père avait pris toute la place, devait impulser sa vie à lui…
Dès lors, on dirait que le tourbillon de sa propre existence, s’est mis à tourner dans le mauvais sens et qu’il ne sait plus comment l’arrêter.
Il devient comme un aimant à problèmes. Stéphane, Arnaud et Gaëtan lui tournent autour, l’incitent à les suivre dans des sales coups, des montées d’adrénaline pour pimenter leur existence sans promesse d’avenir. Parce qu’il a dû leur prêter une voiture du garage de son patron, voilà Antoine dans une spirale infernale tiraillé entre l’envie d’être accepté dans la bande et de ne pas perdre trop le fil. Heureusement il y a Lucia, la seule qui réenchante sa vie mais à qui il n’ose pas confier tous ses problèmes. Elle est jolie Lucia et un peu mystérieuse aussi, quel secret enfouit-elle ? Pourquoi a-t-elle subitement vendu son violon, sa passion ?
Ce texte d’une grande sensibilité concernera les ados car il les confronte avec finesse à la vraie vie et leur montre combien les choses tiennent parfois à un fil. On peut tous se retrouver face au chômage d’un parent, à un divorce ou à un deuil, le héros de Ce que diraient nos pères – sorte de grand cousin d’Antoine Doinel, période 400 coups – incite à garder son cap, à poser des limites, à savoir qui on est et à s’y tenir pour avancer. Il nous autorise à être tristes, à avoir peur, à commettre des erreurs tout en continuant à nous regarder dans la glace et nous montre une route. Celle où quelqu’un nous tend la main, où l’on apprend à ne pas être trop dur avec soi, à continuer son chemin coûte que coûte et à avoir foi en des jours meilleurs. Car ils arrivent toujours. Ce joli roman d’apprentissage qu’on ne lâche pas force l’empathie, avec en guise de paysage, une infinie tonalité de gris et un petit coin de ciel bleu.
Ce que diraient nos pères
Pascal Ruter
224 p., Didier Jeunesse, 15 €
(dès 13 ans)
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