Parmi les centaines de versions existantes du conte de Charles Perrault, La petite fille en rouge de Roberto Innocenti et Aaron Frisch laissera une place à part. En choisissant d’ancrer le conte dans un univers ultra contemporain, cet album original, à l’humour grinçant, doublé d’une efficacité redoutable, touche à l’esprit de l’histoire originelle : mettre l’enfant en garde contre « le loup », c’est-à-dire « l’inconnu, le danger » dans un principe d’identification immédiate.
Dehors, la forêt est immense…
Cet album, qui n’est pas forcément à mettre entre les mains des plus petits, transpose le personnage du Chaperon rouge dans un hyperréalisme urbain. Sophia habite un HLM avec sa maman et sa petite sœur, tandis que sa mamie vit « de l’autre côté de la forêt » (l’autre côté du périph’) : un monde suburbain, violent, sale, débordant, une banlieue d’aujourd’hui avec son lot de détritus, de laissés-pour-compte, de vacarmes visuel et sonore.
Tiens, c’est peut-être ça, la grande différence avec le conte d’origine. Tout comme Hitchcock plaça avec génie la scène de la traque dans La Mort aux trousses dans un champ de maïs en plein cagnard – au lieu du sempiternel recoin sombre d’une ville, la nuit – Aaron Frisch et Roberto Innocenti remplacent le silence inquiétant et la solitude de la forêt par le bruit assourdissant d’une cité surpeuplée. Est-ce pour cela moins flippant ? Pas vraiment.
Ainsi la petite Sofia, traverse une ville aux trottoirs jonchés de détritus, pleine de poubelles dégoulinantes, d’animaux errants et de clochards, aux murs recouverts de graffitis (et d’affiches de Berlusconi ! Un autre genre de loup ?). Voilà pour le décor. Jalonnée de pièges, de dangers, la « forêt » est une rude épreuve pour une petite fille qui doit traverser les routes seule dans une circulation dense, polluée, aux individus archi pressés. Elle doit également franchir « The Wood », centre commercial qui déverse son lot de gadgets et de miroirs aux alouettes, autre façon de dénoncer quelque danger au passage…
En chemin elle est agressée par des chacals, symbolisés par des petites racailles, puis sauvée par l’homme en noir et à moto. Le chasseur ? A moins que ce ne soit le loup… Allez savoir ! Celui-ci lui propose de l’emmener chez sa mère-grand. Mais il la dépose non loin et l’on voit la moto effectuant un raccourci pour atteindre, avant elle, la caravane de la mamie sur terrain vague.
J’adore le style foisonnant de détails, de Roberto Innocenti, l’un des illustrateurs italiens les plus célèbres. Autodidacte, il travaille dans un studio d’animation à Rome, illustre de nombreux livres, affiches de théâtre ou de cinéma. On retrouve dans son œuvre sa passion pour Bruegel ou Jérôme Bosch. Et c’est bien à ce dernier qu’il nous fait penser à travers ce conte infernal, terriblement réel. Des décors comme autant de tableaux avec une myriade de détails à dénicher : un vrai loup passager dans une voiture, un père Noël en scooter, un Mickey…
L’idée judicieuse est de proposer deux fins, l’une tragique, l’autre heureuse. A l’enfant de faire son choix de ce qu’il en retiendra. Mais après la lecture de cet album, nul doute qu’il aura retenu la leçon très explicite. Une chose est certaine, cet album fera trembler, choquera ou impressionnera, il ne laissera personne indifférent. Chapeau, maestro Innocenti !
La petite fille en rouge
Histoire et illustrations Roberto Innocenti, texte Aaron Frisch
Traduit de l’anglais par Catherine Gibert,
Gallimard jeunesse
32 pages, 13,90 €
Dès 7 ans
Nanabozo dit
Belle version urbaine. Pour un public plus jeune, il y a la version sous-marine. Un peu délirante, pleine de référence (à Grimm, parce que presque personne ne meurt), elle reflète le fond du problème : la chaîne alimentaire dans les contes pour enfants.
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