Dans ce joli premier roman, l’Irlandaise Meg Grehan, conte les interrogations de Maxime, onze ans. En apnée, part à la découverte du coup de foudre d’une fille pour une autre. Et touche tout le monde par sa grande sensibilité.
«J’en sais beaucoup
Sur beaucoup de choses
Mais ce que je connais le mieux
C’est moi Maxime
Je sais que j’ai onze ans et deux mois
Que mes cheveux sont bruns
Et mes yeux verts
Que je suis allergique aux arachides
Je sais que j’ai une maman
Qui dort dans la chambre d’à côté (…)
Je sais que j’aime le mauve
Et tout ce qui scintille
Et les sciences et les livres
Les chats Les étoiles et l’espace
Je sais que je suis courageuse
Même si c’est dur parfois
J’en sais beaucoup sur moi-même
Il n’y a qu’une seule chose
Tout au fond de moi
Que je ne sais pas
C’est une sensation étrange
Dans ma poitrine
Ou parfois dans mon ventre
Et toujours dans ma tête
Quelque chose de léger
Et souple et chaud
Qui me fait rougir
Et ça n’arrive que quand
Je regarde
Mon amie
Chloé
Et ça
Je ne sais pas
Ce que c’est
Exactement »
Tout roman connaît son propre rythme intérieur, sa petite musique, son mouvement, sa force centrifuge, son roulis en quelque sorte qui saura nous bercer ou nous surprendre. Ici c’est une voix qui nous captive. Elle nous happe même. Cette voix, c’est celle de Maxime. Une jeune adolescente de onze ans, un drôle de bout de fille qui pratique l’introspection du soir au matin.
Curieuse de tout, Maxime fait l’inventaire de ce qu’elle connaît d’elle, ceux qu’elle aime, sa maman, ses amis, ses peurs, ses envies, ce qu’elle connaît du monde. Apprendre la rassure. Connaître, c’est un peu tenir le monde dans le creux de sa main.
En ce moment, ce sont les poissons, les baleines qui la passionnent. Maxime est une dévoreuse de livres. Se sentir intelligente, ça fait du bien. Mais il y a une autre chose qui lui ferait du bien : comprendre ce qu’elle ne saisit plus, qui tient à ses émotions. Une chose qu’elle n’arrive pas à identifier. Un trouble qui s’empare d’elle et la déstabilise lorsqu’elle voit les jolis yeux de Chloé.
C’est vrai, ça pourquoi s’intéresse-t-elle tant à Chloé tout à coup ? Pourquoi a-t-elle remarqué que Chloé se vernit les ongles d’une couleur différente chaque semaine ? « Je sais que la semaine dernière ils étaient roses, et celle d’avant jaune, et celle d’avant celle-là orange avec des chauves-souris sur les petits doigts pour Halloween. »
Maxime a essayé d’en parler à Maman, qui n’a pas du tout compris où elle voulait en venir et a répondu à côté. Cela lui a fait comme une brisure à l’intérieur, parce que d’habitude Maman comprend toujours tout. Alors Maxime sent qu’elle doit trouver toute seule, ce que cette chose veut lui dire sur elle-même. Elle va mener son enquête et comme c’est ce qu’elle connait le mieux, elle va commencer par les livres…
L’ultra sensibilité de cette fille, son obsession que les choses ne lui échappent pas, résonnera particulièrement auprès des adolescents qui ont grandi avec les livres. « Je me sens en sécurité quand je sais quelque chose », dit Maxime. Mais cette fille a un truc en plus, l’intelligence naturelle du cœur, cette obsession de décrypter chacune de ses émotions, pour tenter de lire en elle comme dans un livre justement.
Tout ce qui arrive de triste n’est pas forcément une catastrophe
Parfois les mauvaises choses vont et viennent
Elles nous rendent visite
Il ne faut pas en avoir si peur
Si Socrate avait eu une fille, ce serait peut-être, elle, Maxime, adepte d’un instinctif « Connais-toi toi-même » et c’est si beau cette voix qui murmure et cherche à tâtons à nommer ce qu’elle devine être le sentiment amoureux. Un sentiment si universel, qu’il résonne en chacun, chacune, de nous. Maxime apprend, retient, note chaque réflexion, consigne même ses rêves dans un cahier. Une vie à tout retenir à soi. Mais avec Chloé, quelque chose lui échappe et ça l’intrigue. Il faut qu’elle sache. Avec son amie, « la magicienne », elle va apprendre une chose nouvelle : à sentir, à se laisser aller, à lâcher prise et elle avoue : « Pour la première fois, j’adore ne pas savoir. »
L’amour est un mystère, on le perçoit au plus jeune âge. Cette quête de soi, ravira qu’on soit fille ou garçon, peu importe, l’émotion est la même après tout.
Le lecteur se glissera facilement dans ce roman, en passager clandestin de l’âme de Maxime, entrant dans le cheminement intérieur de la jeune fille à la recherche d’un secret sur elle-même. Parce que le texte se lit d’une traite comme on déroulerait un rêve intérieur. Parce qu’il est écrit en prose, sans points ni virgules, en courtes strophes ponctuées comme autant de respirations intérieures. Les pensées de Maxime se déroulent comme de frêles petites bulles qui voleraient jusqu’à nous, ou comme des cailloux qu’elle déposerait précieusement les uns après les autres. Un peu à la manière des Aborigènes qui cartographient en une longue chanson le chemin à parcourir pour arriver à l’autre bout de la piste.
Pour ce premier roman, l’Irlandaise Meg Grehan a reçu le prix Eilís Dillon 2018. Les Irlandais sont doués pour le bonheur et c’est sans doute ce qui touche ici particulièrement chez cette jeune fille, son envie absolue de comprendre qui elle est comme une obsession d’atteindre un bien être. Le bonheur, peut-être. Après tout, rêve-t-on jamais d’autre chose ?
Le site de Meg Grehan
En Apnée
Meg Grehan
Traduction de l’anglais (Irlande) Aylin Manço
160 p., Talents Hauts, 14 €
(dès 11 ans)
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