Après le fantastique succès des Petites Reines et leur escapade boudinesque à vélo (si vous ne l’avez toujours pas lu, foncez !), le nouveau roman de Clémentine Beauvais nous enchante avec une histoire d’amour pleine de surprises, malicieuse, écrite en vers et librement inspirée du roman de Pouchkine, Eugène Onéguine. (sortie le 24 août).
« Parce que leur histoire ne s’était pas achevée au bon endroit, au bon moment,
Parce qu’ils avaient contrarié leurs sentiments,
Il était écrit, me semble-t-il, qu’Eugène et Tatiana se retrouvent dix ans plus tard,
sous terre,
dans le Meteor, ligne 14 (violet clair) un matin d’hiver. »
Elle a du cran, Clémentine Beauvais pour s’attaquer à un sujet aussi vaste et aussi casse-gueule à destination des adolescents que l’Amour. De plus écrit en vers libres et en s’inspirant de Pouchkine s’il vous plaît. Tout pour rebuter a priori… Sauf que c’est formidablement réussi.
Poétique, drôle, attachant, malicieux, addictif (on ne lâche le livre qu’à la dernière page), Songe à la douceur est tout ça à la fois et bien plus… C’est une invitation au voyage bien sûr, mais surtout une invitation à aimer et à « dire » l’amour.
L’histoire d’Eugène et Tatiana commence comme une histoire banale. Eugène, dix-sept ans, accompagne son meilleur pote Lenski chez Olga, sa petite amie. Dans le jardin d’Olga il y a une jeune plante : Tatiana, sa petite sœur de 14 ans. Plutôt que de tenir la chandelle, dans les interstices solaires de ces après-midis d’été, Eugène lui fait la conversation. Et voilà l’adolescente aux sentiments naissants qui bientôt se surprend à attendre chaque jour avec fébrilité le moment où la grille du jardin s’ouvre. Jusqu’au soir où elle ose se déclarer et de bien jolie manière, ma foi…
Un drame mettra un point à cette histoire. Final ? Non. Car dix ans plus tard, Tatiana croise Eugène dans le métro. Elle le reconnaît de suite. C’est drôle de se retrouver. Mais la demoiselle est pressée, elle travaille à sa thèse sur Caillebotte, un peintre impressionniste, tout en finesse et solaire. Comme elle. Et voilà notre Eugène tout tourneboulé. Car la fleur en gestation a tenu ses promesses. Comment la revoir ? Les rôles vont-ils s’inverser ? Pourquoi est-il obsédé par elle tout-à-coup ? Et que s’est-il passé exactement il y a dix ans, d’ailleurs ?
En adaptant la trame d’Eugène Onéguine, Clémentine Beauvais réussit un double exploit. D’une part, elle nous passionne pour cette histoire d’amour « comme mille autres histoires » mais elle nous donne à lire un texte rimé, poétique mais surtout d’une formidable énergie, mêlant avec une facilité déconcertante modernité du ton et classicisme des références. Une prouesse ! On savourera les clins d’œil à Verlaine, Baudelaire ou Rimbaud sans que jamais elles ne soient pesantes mais aussi le rythme incessant qui jamais ne relâche l’intérêt du lecteur. Un texte ciselé, scandé comme un slam géant, « une poésie que les adultes ne trouvent pas poétique. »
J’ai particulièrement savouré le sous-texte car tout au long de l’histoire, l’auteure mêle habilement les dialogues des deux protagonistes et leurs pensées simultanées secrètes ou inavouables. Ainsi les méandres tortueux du pas de deux de la séduction et du jeu de l’amour sont mis à nu, pour le plus grand bonheur du lecteur.
Avec ce texte plus mûr, Clémentine Beauvais fait exploser son talent. Elle pointait du doigt les ravages de l’excellence scolaire dans Comme une image, nous a fait rire avec la généreuse Mireille, la collégienne décomplexée des Petites Reines (meilleur livre jeunesse LIRE 2015). Songe à la douceur touchera à la fois les adolescentes car la découverte des premiers sentiments, les moindres signes, les moindres rêveries y sont subtilement scrutées… mais séduira tout autant les jeunes adultes (et même moins jeunes) qui se reconnaîtront fatalement dans les errances amoureuses.
Clémentine Beauvais touche du doigt les problématiques éternelles des amours débutantes autant que les problématiques plus contemporaines : l’usure des sentiments avec le temps et la difficulté de ne pas sacrifier l’amour et de pourtant vivre sa vie. Une sacré gageure !
Eugène et Tatiana ravissent par leur gaucherie, la force de leurs sentiments et leur pudeur. Ils déclenchent des torrents d’émotions. On aime ces deux-là : leurs doutes, leurs élans, leurs timidités, leur drôlerie et leur lucidité après coup « on est dur avec soi-même quand on se voit de loin, on se déteste à retardement ».
Clémentine Beauvais explore toutes les dérobades et les merveilleux arguments que l’on peut se raconter pour éviter de vivre l’amour. Comme le dit le poète, On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans… Il faut beaucoup d’audace pour aimer. Et ce roman donne terriblement envie de tomber amoureux. Songe à la douceur est une invitation qui fait du bien et donne envie d’aimer tout court.
Clémentine, vous avez allumé une flamme.
On espère une suite !
NB. Sur son blog, l’auteure donne quelques explications sur Eugène Oguénine et vous pourrez, entre autres, voir des extraits de l’opéra éponyme : Le blog de Clémentine Beauvais
Songe à la douceur
Clémentine Beauvais
Sarbacane, 240 pages
15,50 €
(dès 14 ans)
Copyright photo : 2014-AdS-M.F.-Schorro
tacotact dit
Vivre ensemble se dit comment en mandarin? comme quoi , ce n’est pas une spécificité franco- française, comme toujours, vivre ensemble , oui! mais pas avec n’importe qui.