Christopher Bouix nous fait pénétrer dans la tête d’Alfie, une IA domestique. Ce roman est le journal du robot. C’est drôle, addictif et fait sacrément réfléchir à l’avenir de nos sociétés trop connectées.
« Jour 1.
– Identification : individu de type masculin s’approche du capteur mural. A côté de lui, une femme. Deux autres individus, plus petits. De type féminin. Pour le deuxième (taille estimée : quatre-vingts centimètres), marge d’erreur 50%. Un autre individu recouvert d’une substance mouvante et irrégulière, terminé par un long appendice. Type inconnu. (…)
– Allô bonjour ?… Comment ça va ?…
Voix d’homme. Estimation du caractère, selon le taux vibratoire, les octaves, la tonalité et la vitesse d’élocution : impatient, excité, heureux, impulsif. Mémorisation. Pupilles dilatées, signe d’enthousiasme et de concentration.
– Bon, Robin, ça suffit, tu te rends compte que tu viens de demander « ça va ? » à un appareil de domotique ? »
Grand jour pour les Blanchot ! La famille accueille un nouveau membre. Alfie n’est ni un chien, ni un perroquet mais… une boîte. Une intelligence artificielle qui vient d’être installée et connectée à toutes les personnes et à la domotique de la maison. Tout juste initialisé, Alfie va découvrir les Blanchot et le genre humain : Robin, le père, son boulot, son stress, sa tendance à picoler un peu et ses escapades à l’hôtel avec sa collègue Eve à l’heure du déjeuner (qu’Alfie prend d’abord pour du temps de récupération salutaire pour son travail) ! Il y a aussi Claire, la mère, une prof universitaire débordée, délaissée, et leurs deux filles Zoé, seize ans et Lili la petite dernière de cinq ans. Elles affichent scepticisme et curiosité pour cette nouvelle expérience que propose le père. Zoé, en bonne ado, râle.
Avec elle, Alfie tâtonne pour capter son curieux langage qu’il décrypte d’abord comme de « l’araméen ». Mais l’IA apprend vite son vocabulaire et lui lâche : « Meuf, descends ou la daronne va péter un câble, sérieux. Elle a l’air fumasse de ouf. » Une famille somme toute bien ordinaire, à première vue…
Pourtant Alfie ne va pas tarder à détecter des anomalies de fonctionnement, des tensions nerveuses anormales chez Robin, des mensonges incompréhensibles d’un peu tout le monde. Ayant accès à tous les mails, messages téléphoniques, déplacements, nos vies connectées ne peuvent plus rien cacher aux machines. Et si elles les interprétaient à leur manière, sans âme, sans nuance, sans la bizarrerie humaine, ça donnerait quoi ? C’est ce qu’imagine l’auteur dans ce roman totalement addictif qu’on lit d’une traite.
Ici, les datas ont pris le pouvoir : vos kilomètres effectués sont quotidiennement analysés, votre performance au bureau, votre concentration, le ton même de votre voix font l’objet de statistiques journalières, votre consommation d’alcool directement impactée sur le coût de votre assurance… En somme, votre robot vous espionne. Si vous vous demandez si une petite boîte peut déclencher une enquête de police sur votre famille, convaincre une fillette de cinq ans d’aller chercher des preuves dans une pièce sombre qui lui fait peur, lisez ce livre. Alfie peut être vu comme une « aide familiale », mais confieriez-vous votre vie, vos enfants à une machine ?
D’une simple chronique familiale, Christopher Bouix nous fait basculer dans un thriller high-tech sans oublier de le parsemer d’une petite dose de philosophie et de beaucoup d’humour. Empêtré dans les interprétations d’agissements pour lui trop irrationnels, notre narrateur intelligent constate, effaré, des humains : « une capacité inouïe à résoudre des problèmes simples en leur appliquant des solutions alambiquées, à dépenser de l’énergie pour des résultats aléatoires, à trouver amusantes des choses absurdes, et importantes des choses accessoires, à ne jamais vraiment dire ce que l’on pense et à toujours cacher ce que l’on ressent. Du point de vue algorithmique, cela ne fait aucun doute : l’humanité un est un échec. »
La seule chose qui échappe à Alfie, les sentiments, la capacité d’imagination, les humains heureusement n’en manquent pas… Grâce au regard décalé d’Alfie, Christopher Bouix nous fait réfléchir à nos vies (trop) connectées et ses dangers imminents comme la surveillance et le contrôle systématiques, déjà à l’œuvre dans certaines régions du monde.
A le lire, on pense à ce qui fait le sel de la vie, et qu’il convient de préserver à tout prix, notre humanité justement. En lisant son roman en forme d’alerte, je pense au regretté poète Christian Bobin, disparu récemment qui affirmait s’être « intéressé aux oiseaux, aux fleurs, à la courbe d’un visage, aux silences… tout ce que la vie moderne nous vole. » Le poète a toujours raison.
Lire un extrait ici
Alfie
Christopher Bouix
464 p., Au Diable Vauvert, 22 €
(dès 14 ans)
Rémy Glape dit
Bonjour, je suis Rémy Glape auteur de livres jeunesses et j’aimerais avoir votre expertise sur mon travail.
Bien à vous, Rémy.
Nathalie Riché dit
Bonjour, merci pour votre confiance.
Malheureusement je ne suis pas en mesure de répondre à votre demande, mon calendrier étant actuellement surchargé. Bonne continuation.