Guillaume Guéraud signe un roman très fort sur le désespoir adolescent des banlieues. Rien nous appartient retrace le parcours du jeune Malik, en forme de spirale fatale, d’un noir profond.
« Déjà, avant que les flics ou les médias racontent n’importe quoi, je vous annonce que je suis pas musulman. Alors, n’allez pas croire que c’est un acte terroriste organisé par Daesh ou un attentat islamiste signé Al-Qaïda et compagnie. Aucun rapport.
Je le précise parce que, vu mon nom et ma tête d’Arabe, on risque me prendre pour un djihadiste. Sans déconner. Je suis même sûr que dans la panique et la confusion, un témoin inventera qu’il m’a entendu crier « Allahua Akbar ! »avant que je fasse tout sauter. Tu parles.
J’ai jamais cru qu’Allah était grand. J’ai même jamais cru qu’Il existait. Et j’ai jamais mis les pieds dans une mosquée. »
D’emblée le ton est donné. On sait que ce jeune gars s’apprête à faire la plus grosse connerie de sa vie. Rembobinons l’histoire.
Malik, seize ans né à Saint-Denis, est un gars des cités. Sa mère algérienne, est repartie vivre au bled avec ses deux jeunes sœurs, parce qu’elle ne supportait pas que son mari ouvre un bar et vende de l’alcool « au mépris de l’islam ». Il y a ses trois copains avec qui il fume des pétards, « se fait des plans sur la comète » et avec qui il commet de petits larcins, rien de bien méchant. Plus tard comme métier, il fera « Robin des Bois » ! Ce qu’il aime dans la vie, il en a fait une liste : embrasser Fatima, relire L’Appel de la forêt de Jack London, voir des bons films… mais parfois un imprévu s’invite dans la liste de nos envies. Fatal.
Malik s’est piqué au jeu des larcins et s’amuse à arpenter les couloirs d’immeubles, entrant au hasard des portes ouvertes et chapardant ce qu’il trouve, là, à portée de main. Pas joli-joli, mais pas trop grave non plus. Jusqu’au jour où il est surpris par un mec en pyjama, du genre énervé, fusil à la main. Très remonté, en guise de leçon l’homme lui coupe un doigt – « ce qu’on fait aux voleurs dans le Coran ! » -, un épisode qui va se finir mal pour tous les deux.
Malik sera jugé pour homicide et se retrouve dans une prison pour mineurs. Il s’y fait quelques copains, se met au boulot et décroche son bac français haut la main. Et pour la première fois, il découvre la haute-montagne lors d’un séjour organisé par l’EPM. Une expérience fondatrice. Plus tard, c’est le métier qu’il aimerait choisir, guide de haute-montagne. Il paraît qu’il existe des passerelles pour s’en sortir en cas de coup dur. Mais pour qui ? Au sortir du trou, les choses ne sont pas si simples, même s’il s’accroche en Terminale : « Il y avait un fossé au lycée. Entre les autres et moi. (…) J’avais passé seize mois en prison. J’avais tué un homme, tout le monde le savait. Mais personne n’en parlait. Même pas moi. A cause du fossé. »
La passerelle entre la cité et la haute-montagne, peut-elle enjamber ce fossé ?
Malik ne se décourage pas, multiplie les démarches pour faire ses premières armes au grand air. La rédemption de l’ex-délinquant par la vie en communion avec la nature, voilà comment aurait pu se terminer un livre jeunesse classique. Mais Guillaume Guéraud nous embarque ailleurs, avec son regard sur le monde contemporain, empreint de lucidité et de noirceur. C’est un autre sentier que Malik va emprunter. En forme d’impasse. Car le repli de la pandémie enterre son mince horizon comme une ultime cerise empoisonnée sur un gâteau déjà rance. Une passerelle pour l’enfer.
« Je crois pas plus à la religion qu’au Père Noël (…) Je suis juste un mec qui croit plus en rien. Et qui en a marre. » Guillaume Guéraud nous a habitués à des récits, courts, tranchants, avec des parcours chaotiques : Je mourrai pas gibier (Prix Sorcières 2008), Plus de morts que de vivants… Celui-ci nous dit le vide sidéral de ces jeunes sans repères, que plus rien ne raccroche d’autre que la colère, la contestation. il est intéressant de souligner que quelques livres récents pour ados finissent franchement mal, sans échappatoire possible. Tout comme l’excellent roman de Florence Hinckel, L’énigme Edna (éd. Nathan), Guillaume Guéraud n’hésite pas à embarquer son héros au bout d’un destin le plus sombre. Et si le tragique s’invite à ce point en littérature adolescente, est-ce le signe que les maturités changent, que les consciences doivent se réveiller sur une jeunesse désespérée ?
Ce roman très fort, à travers une voix touchante, un parcours à la fois banal et singulier, nous interroge sur cette jeunesse au bord du vide. Quel regard porter sur elle ? Qu’avons-nous à lui proposer ? Tout est à construire pour inventer des lendemains qui ne déchantent plus. Malik pourrait être notre cousin, notre voisin, notre frère, notre fils. L’enjeu et la responsabilité sont collectifs. Guillaume Guéraud nous laisse avec cette question béante, là sous nos yeux et nous ébranle. La littérature peut impulser cette force-là. Elle laisse un chantier immense, peut-être trop grand pour nous… il est entre nos mains, et si rien ne nous appartient, tout reste encore possible.
Rien nous appartient
Guillaume Guéraud
158 p., PKJ, 13,90 €
(dès 14 ans)
Laisser un commentaire