Le roman décapant de Vincent Mondiot, Les derniers des branleurs remporte le Prix Vendredi, récompensant le meilleur roman ados 2020. Il succède à Flore Vesco et sa mirifique Mirella et à Nicolas de Crécy et son fantôme.
« C’est quoi, déjà, ce coup-ci ?
Dans les rues de la gare Saint-Lazare, des CRS casqués courent derrière des manifestants avec des foulards devant le visage. Sur le parvis, une grenade lacrymogène explose. Deux manifestants tombent sur le bitume noir et humide. (…)
Ouais, c’est ça effectivement, ce soir : un rassemblement contre le réchauffement climatique. Minh Tuan trouve bizarre de défendre une telle cause en hiver.
Assise face à lui à l’étage du Burger King situé à l’intérieur de la gare, Chloé colle son téléphone à la vitre, essayant de filmer les affrontements comme elle peut. Gaspard, lui, casse des ampoules de Phénergan dans son gobelet de Sprite.
– T’arrives à filmer, avec la nuit ? interroge Minh Tuan.
– Ouais, répond Chloé en jouant avec les réglages de son téléphone. En zoomant bien, je peux même genre, avoir les détails des blessures et tout !
– Tu vas le foutre sur Insta ? demande Gaspard en mélangeant sa boisson codéinée avec sa paille.
– Peut-être en story, oui…
– Fous-leur un filtre avec des oreilles de chien ou un truc comme ça !»
Les trois lycéens éclatent de rire tandis que Chloé met en ligne sa vidéo.
#ViolencesPolicieres
#AttentionChiensMechants
#LaBonneAmbi »
C’est une écriture insolente qui déménage. Un roman à hauteur d’ados qui en utilisent tous les codes pour en peindre un portrait au plus juste, s’en moquer et sans doute les emmener un pas plus loin qu’ils ne voudraient aller.
Vous allez vraiment les adorer ces glandeurs de première (ou plutôt de Terminale) ! Minh Tuan, Chloé et Gaspard ont un objectif précis pour leur dernière année au lycée : avoir leur bac sans rien branler. Il faut dire qu’ils élèvent la glande au rang d’œuvre d’art. Ils nous énervent par leur vacuité, leur vie blasée, leurs journées passées à sécher les cours, à fumer des joints, à lire des mangas, à jouer à des jeux vidéos et à jurer comme des charretiers…
Ados mal dans leur peau et bien dans leur époque, ils semblent ne croire en rien, à part en l’amitié, car leur amitié est tout. Ils sont indivisibles ces trois-là, toujours collés ensemble à expérimenter jusqu’où aller pour toucher le fond, tester tous les états possibles, tenter de se faire détester de la terre entière et ne rien attendre de personne. Juste glander et surtout qu’on ne les fasse pas chier. Ils sont dans leur bulle, celle de l’année de Terminale, le dernier repli possible, avant d’être jetés dans le grand bain mais jusqu’ici, circulez, surtout ne leur demandez rien, qu’on les laisse couler pourvu qu’ils restent ensemble.
« C’est important, le bac. Bientôt tu seras adulte. Faudra te prendre en main. Tu vois le genre.
Gaspard aime bien Kenneth. Mais là tout de suite, il commence un peu à le faire chier.
Si même les dealers se prennent pour des conseillers d’orientation, où va le monde, putain ?
– Tu l’as eu ton bac, toi ?
– Non, mais moi, c’est pas pareil. »
Mais derrière la posture, on sent qu’il faudrait peu pour basculer vers autre chose. Et cet autre chose qui débarque dans leur vie, va les bousculer, va s’incarner dans Tina, une jeune migrante Congolaise dont personne ne veut et dont les trois s’entichent. Et sur qui ils vont compter pour avoir le bac…Mais promis, craché, juré, leur bac, s’ils l’ont, ce sera sans réviser.
C’est un portrait qui dit beaucoup de la jeunesse d’aujourd’hui. Celle à qui on laisse un monde désenchanté, alors n’attendez pas qu’ils le soient, enchantés, mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas décidé de rire, de rêver et de profiter de la vie, simplement c’est à leur manière. Les adultes ne peuvent pas comprendre.
Vincent Mondiot avec ce roman chorale qui n’en est pas un, ambitieux dans sa forme, nous surprend par sa capacité à restituer ces jeunes et l’époque ainsi qu’à tenir le rythme sur la longueur. Les dialogues d’une grande justesse, drôles, inventifs, les notes dans la marge qui ponctuent tout le roman font de ce gros livre, un page-turner qui se dévore. Minh Tuan, Chloé et Gaspard se montrent particulièrement attachants dans leur velléité à s’afficher comme les rois de la loose qu’ils ne sont finalement pas. Malgré l’énergie que mettent ces anti-héros à contempler le vide, les personnalités surgissent, montrent des failles, s’épaississent et malgré eux, révèlent leur richesse. Et si on ricane un peu, on se prend à les aimer tant, qu’on ne rêve que d’une chose, qu’ils le réussissent enfin ce p… de bac !
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Les derniers des Branleurs
Vincent Mondiot
450 p., Actes Sud junior, 16,80 €
(dès 15 ans)
Les mentions du prix Vendredi
Tenir debout dans la nuit, Eric Pessan, Thierry Magnier
Sans armure, Cathy Ytak, Talents Hauts
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