Voici le destin de Mauve. Un adolescent, venu d’une autre planète, pour nous avertir que notre destin est en train de se jouer. Avec La mémoire des couleurs, Stéphane Michaka produit un grand roman, captivant et visionnaire, à dévorer pendant l’été.
« Un tunnel ? Oui ce doit être un tunnel.
Un corridor sans fin. Un couloir d’acier dans lequel on te précipite d’un coup sec. Une force irrésistible te projette en avant. On t’a bousculé, tabassé, puis jeté là sans que tu puisses opposer la moindre résistance.
On t’a peut-être drogué. Cela pourrait expliquer ton mal de crâne. La bouillie qu’est devenue ton cerveau.
As-tu encore toute ta tête ? Sans doute, puisque ces pensées sont les tiennes. Mais elles ne te sont d’aucun secours. Pas plus que les silhouettes que tu devines autour de toi. Qui sont-ils ? Tu ne les vois pas mais tu peux les entendre. Ils parlent à voix basse. On dirait qu’ils veulent t’alerter (…) tu voudrais t’en sortir mais tu es un caillou emporté par la vague.»
Au sortir du tunnel, Mauve atterrit dans une brocante. Qui est-il ? D’où vient-il ? Que fait-il là ? Quel âge a-t-il ? Lorsqu’Anna l’accueille, il a perdu toute mémoire. Ne reste que ce prénom coloré, Mauve, gravé sur son épaule. On lui dit qu’il a quinze ans. Il ne comprend rien au monde qui l’entoure, tout lui est étranger. Anna et Lucie sont là pour le guider, l’insérer, comme quelqu’un qui aurait vécu « ailleurs ». Mais où ? Impossible de se souvenir…
Peu à peu, l’adolescent se rend compte qu’il a la faculté de lire dans les pensées humaines, mais pas seulement. Pourquoi comprend-il aussi bien le russe, l’anglais, le grec, le chinois ou le farsi ? Qui est cette fille au blouson noir qui traîne dans les parages et essaie de l’attirer ? Pourquoi n’utilise-t-il jamais la première personne lorsqu’il s’exprime ?
Mauve ne se souvient de rien mais la nuit, il rêve. Ses songes semblent si réels qu’ils les appellent ces « rêvenirs », et peu à peu par le truchement de ses nuits, Mauve se souvient. De Circé, la planète d’où il vient, de l’Oracle, des Couleurs – ses semblables – et puis surtout de Cyan… qui s’est rebellée, a osé défier l’Oracle et qui a disparu. Cyan qu’il aime plus que tout. Mauve doit tout faire pour la retrouver.
Il va s’appuyer sur ses rencontres, Jade bien sûr, mais surtout André, sorte de vieux sage et de grand-père de substitution qui lui aussi se demande pourquoi il se nomme Mauve – « Je l’entends penser : c’est curieux pour un noir » André devient un ami, lui fait partager son immense culture et surtout le plaisir de la lecture. Car Mauve ne lit pas, il avale littéralement les lignes : « De L’Odyssée, j’ai tout retenu et rien vécu. Il ne m’est pas venu à l’idée que je pouvais être Ulysse. Vouloir regagner Ithaque et retrouver Pénélope…
– Si personne ne nous donne le goût du monde, pourquoi aurions-nous envie de le sauver ?»
Avec André, Mauve comprend un peu mieux les humains. Car il vient d’une planète sans livres, sans mythes et légendes. Un monde où tout est programmé, où l’intelligence artificielle a pris le pouvoir et dicte sa loi, privant les individus de leur personnalité et de leur histoire. Mauve ne se doute pas encore quelle est sa mission sur Terre. Une mission dont pourrait dépendre la vie de l’humanité.
Les grands bouleversements de notre époque, les poussées totalitaristes, les changements climatiques, le surgissement du numérique à tous les étages de nos vies, inspirent les auteurs des romans ados. Il est criant de voir combien Lou après tout, le roman de Jérôme Leroy et celui de Stéphane Michaka résonnent l’un avec l’autre, à quelques mois d’intervalle. Si le premier décrit un univers chaotique et guerrier avant et après le Grand effondrement, celui de Stéphane Michaka évolue dans un univers moins hostile mais se pose en prophète, dans la tradition des romans de science-fiction.
En racontant le devenir de Circé, il prévient des maux dont sont atteints notre propre planète, les dérives de l’Intelligence artificielle, du royaume des data et de la prise de pouvoir du monde par les machines, y chassant peu à peu ce qui fait le sel de la vie. Pour y remédier, Stéphane Michaka applique une bonne dose d’humanité, d’amour et, comme chez Jérôme Leroy, d’imagination et de littérature. Ce n’est pas un hasard si des thèmes aussi proches apparaissent au même moment. Ces deux romans très forts incitent nos ados à s’interroger sur le devenir de notre planète pour prendre leur destin en main. Dans une langue très fluide, empreintes de quelques fulgurances poétiques, Stéphane Michaka réussit un roman passionnant mêlant aventure, science-fiction et réflexion philosophique. Un vrai roman d’apprentissage comme on les aime.
La mémoire des couleurs
Stéphane Michaka
426 p., Pocket Jeunesse, PKJ., 17,90 €
(dès 13 ans)
Photo ©Audrey Dufer.
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