Avec Danser, la romancière Astrid Éliard nous raconte avec une grande sensibilité la vocation de trois adolescents attachants, trois petits rats de l’Opéra en devenir. Avec leurs aspirations, leurs peurs, leurs envies et leurs troubles… comme n’importe quel ado.
Une fois n’est pas coutume, j’ai eu envie de vous parler d’un roman « adulte », mais qui aurait (presque) pu être publié chez un éditeur jeunesse, tant ses thématiques et les voix de ses personnages tutoient l’univers des romans pour ados.
Trois personnalités, trois adolescents, trois destins et une seule passion, la danse. Chine, Delphine et Stéphane sont tous trois « petits rats » à l’école de danse de l’Opéra. La danse, ils l’ont dans le sang. Chez eux, tout est danse. S’amuser ? Danser. Raconter ce qu’ils aiment le plus ? Danser. Choisir un métier plus tard ? Danser, voyons, quoi d’autre ? D’ailleurs ce n’est pas un choix. On ne choisit pas une passion, elle s’impose à vous.
Chine la secrète, la discrète, l’invisible, qui n’a pas connu son père et dont la mère semble totalement étrangère à l’instinct maternel, se tient à l’écart du groupe mais est la championne du « démerde-toi » toute seule. « J’étais terrorisée à l’idée d’affronter les autres, leurs potes, leurs fous rires, leurs mains qui s’enlacent… et cet air de penser que la solitude est une maladie (…) Je crois que la vie est bien plus risquée que la scène. La vie, c’est pas juste respirer et mettre un pied devant l’autre, c’est… c’est vertigineux… » Pourtant, quelque chose au fond de Chine bat plus fort. Elle n’existe pas dans la vie, mais quand elle danse, c’est autre chose, a remarqué Stéphane.
Stéphane est le cinquième d’une fratrie de garçons qui jouent tous au foot ou au rugby, son père a capitulé après lui avoir fait essayer tous les sports bien virils. Mais Stéphane était absolument fait pour la danse qui n’est pas, contrairement à ce dont son père a peur, un « truc de pédé ». C’est Delphine qui en parle le mieux : « Stéphane le faux-laid, le génie de la danse. C’est drôle, mais quand je le vois sauter, j’ai envie de sauter. (…) Il est si transporté quand il danse, je voudrais être son miroir, qu’il me transmette son talent, son enthousiasme. »
Delphine, c’est un peu la reine de l’internat. Elle est belle, toutes les filles l’envient et on l’imagine avec une petite cour qui babille autour d’elle. Elle a toujours le gloss ou le vernis qui va bien, les posters, les fringues à la mode et des tas de des trucs qu’elle prête à tout le monde. « C’est sa façon de tisser des liens avec les autres, le moyen de n’être jamais seule (… ) Elle me fait penser au Petit Poucet à disperser ses babioles dans tout l’internat. » Chine la comprend si bien.
Astrid Eliard nous fait pénétrer dans les coulisses de ces ateliers de forcenés, où l’on transpire, où l’on apprend âprement, jour après jour, la grammaire des corps, avec des jetés, des fondus et des développés à n’en plus finir. Et des pompes en guise de punition ! Le spectacle viendra plus tard, quand les corps seront prêts. Elle raconte les moments de doute, la trouille au ventre, la mutation des corps et les découragements. « Je m’aperçois que la danse n’est pas consolante, la danse est dure, ingrate, elle te dit qu’il ne faut pas courir dans le jardin (parce que tu pourrais te blesser), elle te demande de faire attention à ce que tu manges… ». Astrid Eliard raconte aussi les découvertes, celles que l’on reconnaît d’abord chez les autres car c’est comme ça les ados, ça avance à tâtons, en observant les autres, en se comparant et en s’appropriant d’autres certitudes.
C’est un roman d’apprentissage. Un roman de découverte de soi, de son corps, de sa détermination mise à l’épreuve, de l’apprentissage du labeur pour arriver à quelque chose, de sa capacité à tout donner pour arriver au sommet, à avoir le droit de faire ce qu’on aime. C’est l’un des grands enseignements de ces classes d’exception : travailler un don, et tirer sur ce fil fragile, le travailler dur pour avoir le droit de jouer parmi les meilleurs, de participer à ce grand manège que l’on appelle le ballet. De faire partie de l’élite.
Astrid Éliard le sait bien, elle a dansé autrefois. Est restée la grâce, celle de l’écriture. Car sous nos yeux, ces danseuses graciles tourbillonnent, virent-virent, souffrent, doutent et se cherchent mais à tout moment, on sent battre la pulsion, le petit moteur qui donne des ailes et fait faire des miracles. C’est bien ce petit ressort que tous les adolescents recherchent pour exister, se faire une place bien à eux dans le monde. Et c’est ce ressort que l’auteure observe avec une grande finesse, faisant vibrer en nous ces adolescents qui muent, ces artistes en devenir. Bien au-delà de la danse, ce roman est un hymne aux vocations et aux choix que l’on fait de nos vies.
Danser
Astrid Eliard
182 p. Mercure de France, 17,50 €
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