Hélène Vignal signe un texte pour ados haletant, d’une intensité extrême qui parle de sexe sans ambiguïtés. Queen Kong a remporté la Pépite d’or du 37e Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil. Un prix ultra gonflé et sacrément mérité.
« Alors, ça y est j’en suis une.
Une belle.
une vraie.
Une grosse.
Une sacrée.
C’est pilonné dans les commentaires que je lis, debout dans ma chambre.
Dehors, j’entends tourner un hélico. Il paraît que ça crame dans les collines là-haut. On parle d’une occupation. Dans mon téléphone aussi ça crame. Et c’est moi qu’on a mise sur le bûcher. Partout, des émojis de vomi vert, de tête de mort. J’ai basculé dans le concept. J’en suis une. Parce que je sais bien comment ça marche. Je sais bien que ça ne s’arrêtera pas (…)
Vient un moment où tu ne peux plus revenir en arrière. Tu le sais, tu le sais depuis le début. Mais devant le peloton d’exécution, quand tu les regardes tous dans les yeux et que tu vois que de l’obéissance aveugle et de l’envie de sang, tu sais. Je veux dire que tu sais vraiment que tu es seule.
Et que tu es libre. »
C’est une voix. Jeune et pleine d’assurance, d’arrogance même. Une voix qui crache l’intime avec une honnêteté sans faille. Qui dit la vérité crue, les non-dits autour du sexe. Elle raconte sans pudeur, directe et droite, les séances de masturbation très jeune, le plaisir qui monte et l’endroit où ça explose, invariablement. La manière dont elle a voulu, quand elle s’est estimée en âge, se faire dépuceler. Sa déception. « La vérité j’en avais rien à foutre de la virginité. Je voulais ouvrir cette porte en moi. »
Et puis viennent les autres conquêtes. Il y en aura quatre. Pas tant que ça finalement… Un peu comme on se lancerait dans une chasse au trésor, par curiosité. Avec des découvertes parfois bonnes, comme avec Sélim, « le contrat était beaucoup plus grand que je l’imaginais. Il était plein de clauses secrètes (…) ; le sexe qui rend l’intérieur de toi immense et inondé de soleil ». Parfois moins bonnes, surtout lorsque le diktat du groupe n’est pas loin. « Un groupe de copains, l’été, dans un camping ? (…) Y avait plus d’individus. Y avait un groupe. Un groupe terroriste, violent. Un groupe qui exigeait qu’on baise. C’est ça la vérité. Alors on a obéi. On a fait ce que le groupe attendait de nous. Et c’est de ça que j’ai le plus honte. »
Expérimenter c’est une chose. Mais c’est mieux que ça ne se sache pas trop dans ces recoins de province où il ne se passe rien et où le moindre événement prend des proportions stratosphériques. Alors quand une fille du lycée la voit monter dans une camionnette, celle-ci imagine de suite des trucs crades et se répand. Les réseaux sociaux feront leur sale métier. Comment réagir quand on est juste lycéenne avec un monde contre soi ? En s’affirmant. C’est le choix de cette jeune guerrière en forme de reine, Queen Kong.
Rien à voir avec le nanar des années 70 de Frank Agrama, le titre fait référence sans ambiguïté au King Kong Théorie de Virginie Despentes. Car Queen Kong est un roman de l’émancipation, d’affirmation de soi, de cri de liberté et surtout de l’émancipation sexuelle. Revendiquer haut et fort que notre corps nous appartient, n’écouter que soi, ce que l’on est prêt à faire ou pas dans l’intimité. Poser les limites et se ficher résolument du reste.
C’est un texte sous haute tension. Tension entre l’intensité de cette sexualité affirmée, assumée et tension entre les événements autour d’elle, le harcèlement dont elle est l’objet.
C’est un roman nécessaire, puissant qui a reçu la Pépite d’or au 37e Salon du livre de Montreuil. C’est gonflé ce prix, mais c’est aussi le signe que la littérature de jeunesse continue à inventer, à innover et à accompagner sans relâche les adolescents dans leurs questionnements. Hélène Vignal prouve avec brio que le roman est le bon endroit de la quête et de l’introspection adolescente. Nombre d’entre eux s’interrogent sur ces questions sans forcément trouver des réponses. La littérature aussi sert à ça. Et comme le dit très justement la spécialiste Sophie Van der Linden dans Libération « Sujet retors de la littérature jeunesse, la sexualité pourrait bien incarner l’une des voies de sa propre régénération. »
Comment briser les tabous et parler de sexualité aux adolescents d’une manière qui ne soit ni conventionnelle, mais de qualité et à leur portée ? La jeune collection L’Ardeur créée par l’éditeur Thierry Magnier qui depuis longtemps défriche, apporte un renouveau dans le paysage de la littérature adolescente, apporte cette réponse osée et réussie. S’emparer de ce texte, c’est aussi comprendre ce qu’une littérature sincère peut apporter à chaque lecteur sur des sujets aussi sensibles. Une immense preuve de vie de cette littérature dite de jeunesse, pourtant majeure.
Lire un extrait
Queen Kong
Hélène Vignal
82 p., éditions Thierry Magnier, coll. L’Ardeur, 12,90 €
(dès 15 ans)
Laisser un commentaire