Après la vague est une histoire de résilience. C’est le quatrième roman qu’Orianne Charpentier signe chez Gallimard jeunesse et le plus réussi. J’ai rencontré la jolie brunette au Salon du livre de Paris. Elle a les yeux qui pétillent lorsqu’elle parle de ses personnages, littéralement habitée par eux. Et après avoir lu son histoire on est contaminé.
Dans ce roman très fort, Orianne Charpentier raconte l’histoire de Max, un ado beau gosse, flanqué d’un air content de lui et de Jade, sa jumelle bonne pâte. En vacances dans les Philippines au moment du Tsunami, tous deux se trouvent sur la plage dévastée par LA vague. Jade est emportée, Max rescapé.
Après la vague raconte le chemin que l’adolescent emprunte afin de continuer à vivre, avec toutes les errances que suppose cette route à inventer quand on a seulement dix-sept ans. Lumineux, comme l’annonce cet extrait du prologue.
Les années s’écoulent, nous consommons nos jours, nous dévorons notre insouciance à grandes bouchées voraces (…) jusqu’à ce qu’une vague nous engloutisse ; qu’elle nous broie, qu’elle nous lâche et nous rejette, pour nous remettre au monde, nu comme un nouveau-né, et tout recommencer, autrement.
Comment est né ce livre ?
Souvent pour écrire j’ai des espèces de flashs, comme des visions. Les images de cette vague qui submerge tout m’avaient marquées en 2004 et elles me sont revenues. Presque immédiatement après, j’ai eu la vision des personnages de Max et de Jade. C’était très important pour moi que l’adolescent ait une jumelle car tel qu’il se vit, Max est incomplet. Jade était sa complétude. Ils sont un peu comme le soleil et la lune. Et c’est ce que le personnage va chercher tout au long du livre. Et puis, à la même période j’ai eu ces phrases du prologue qui me sont tombées dessus comme une pluie un peu lourde. Ca martelait.
Une vague comme une métaphore de ce qui nous submerge ?
Oui, la vie réserve plein de tsunamis qui s’expriment de façons diverses. C’était aussi très important pour le livre que ce soit une vraie vague avec des conséquences très réelles. Cette idée de la vague qui submerge tout, qui vient du plus profond de la mer et qui empiète sur le territoire des humains raconte l’impuissance humaine. Les images de la catastrophe du Japon en 2011 ont sans doute réactivé cette terreur.
Il y a une autre métaphore, celle de l’infection dont souffre Max après la tragédie.
Souvent la souffrance passe par le corps. D’ailleurs toute la métaphore de la cicatrice est aussi pour moi un long chemin, car notre cœur, notre esprit et notre corps sont reliés.
Pourquoi avoir choisi un sujet aussi dramatique ?
Cela m’est tombé dessus. Même dans mes précédents livres, je n’ai jamais l’impression de choisir mes thèmes. Dans Mauvaise graine, je parlais d’un adolescent qui a un regard désenchanté sur sa famille et puis il s’aperçoit que son père est gravement malade. Là non plus je ne m’étais pas dit «oh, je vais parler du thème de la maladie ». Cet ado m’est venu d’une rencontre dans une classe. Les élèves du fond de la classe étaient tous des garçons. Dans leur regard, je voyais qu’ils ne s’aimaient pas, il y avait une souffrance en eux qui s’exprimait par une forme d’insolence. Ils n’avaient pas eu envie de lire le livre, pourtant, c’est à eux que j’avais envie de parler.
Le livre serait le moyen de dialoguer avec les ados ?
J’ai souvent l’impression que les livres sont des ponts. Dans ma jeunesse, un livre me servait à passer un fossé, c’était comme un fil, une traversée. Souvent je choisissais des livres non seulement pour me divertir mais pour passer des étapes, affronter des peurs. En l’occurrence, il fallait que j’écrive Après la vague comme ça. Peut-être que lorsque je l’ai écrit, j’avais moi-même besoin de franchir un gué. Ce que j’essaie de faire dans mes livres, c’est de changer le regard. Le monde est tel qu’il est, c’est une donnée, c’est juste la façon dont on le regarde qui peut changer. Et changer le regard, c’est ça que lire et l’art aident à faire et à partager.
Est-ce une tentative de leur dire : la vie est précieuse, ne la gaspillez pas ?
Tout livre est une tentative. Ici, l’idée était de montrer comment, dans une situation douloureuse, il y a malgré tout la possibilité d’un chemin qui se trace vers quelque chose qui à la place du manque mettra le plein, à la place de l’ombre mettra de la lumière. Comment passer de la situation douloureuse – sans que la douleur soit niée ou totalement évacuée – permet de voir la vie autrement et d’une manière plus heureuse.
C’est la fameuse phrase de Nietzsche « Ce qui ne nous tue pas… »
… Nous rend plus fort ! Cette phrase est très belle, mais je trouve qu’on l’utilise davantage pour consoler les gens et je la trouve un peu maigre. Pour autant, il y a davantage que « cela ne nous tue pas », il y a toute la construction à faire derrière. Au-delà de l’épreuve, ce sont les chemins que l’on va trouver qui nous rendent plus forts.
Les parents et le frère aîné ont tissé des liens avec les familles des victimes. Ils s’en sortent mieux que Max.
Max a passé deux mois à l’hôpital, coupé du monde d’après la vague. Il était seul dans sa douleur quand il a été blessé. Sa famille avait déjà compris que le travail de deuil passait par les liens, par l’autre. Pour Max, c’était impossible, il était amputé, trop muré dans sa douleur. Finalement, c’est par accident qu’il prend conscience de l’importance de « l’autre » pour avancer.
Pourquoi avoir choisi de le faire fuir de chez lui ?
Dans sa douleur, Max est comme un rat dans un labyrinthe, il cherche la sortie. Il essaie de mettre fin à cette douleur qui stopperait sa vie ici et je me disais que sans déplacement c’était difficile pour lui aussi, vu son tempérament. Max est comme une pierre qui va, elle roule, elle se cogne, elle rebondit, un peu comme une boule de flipper, c’est une énergie un peu désespérée et c’est sa force aussi, à un moment, de prendre ce train. Il s’éjecte d’une situation et cela permet de déclencher des rencontres. Il me semblait que le déplacement évoquait aussi le temps de la guérison, qui est long. Le faire bouger, c’était aussi le faire déplacer dans l’espace et dans sa tête.
« La littérature jeunesse sert à réenchanter le monde »
Avec Mauvaise Graine, vous étiez déjà sur un ado en perte de confiance et qui se sent mal dans sa famille. Traiter des fêlures dans l’adolescence, c’est votre truc ?
La plupart de mes héros se situent pile au moment du désenchantement. Il y a l’enfance et puis tout d’un coup, on est éjecté du jardin d’Eden et on tombe dans l’adolescence. C’est le moment où le voile se déchire. C’est un moment qui me touche profondément parce que la littérature, et particulièrement la littérature jeunesse sert à réenchanter le monde. Pas en le niant, on peut inventer d’autres mondes. Par exemple, J.K. Rowling invente un monde parallèle mais elle ne nie pas les difficultés, et parfois elle en donne une vision très sombre et intéressante. La littérature jeunesse sert à ouvrir des portes et c’est pour ça que je prends mes héros au moment de cette faille-là.
Pourquoi aller jusqu’à l’autodestruction ?
C’est compliqué de parler de tentatives de suicides à des adolescents. En même temps, Max ne pouvait faire que ça tant qu’il n’avait pas trouvé la réponse dans la recherche d’une parole, d’une rencontre, c’était difficilement évitable. Je savais qu’il irait jusque là. Dans mon travail de journaliste, j’avais réalisé une enquête sur le suicide chez les adolescents. J’avais rencontré beaucoup d’associations et ce qui m’avait marqué, c’est que ce ne sont pas des appels au secours. Dans la plupart des cas, les adolescents ne veulent pas mourir, contrairement aux adultes, ils veulent juste s’effacer. Ils veulent juste une autre chance. C’est symbolique.
L’adolescence n’est pas une façon d’envisager la vie sur sa durée, la souffrance est omniprésente. Quand on est adulte, on a forcément un matelas de vie derrière soi, quand il nous arrive un énorme chagrin à trente ou à quarante ans, on sait qu’on y survit. Même si ça met un temps immense. Mais notre être profond est là, il y a une forme de résistance. Ce que j’ai retenu de cette enquête c’est que dans ce mal-être là, il faut parler à des adultes, et si possible proches du milieu médical qui eux sont formés à ça.
« Je voulais juste faire Pomme Z » le travail de deuil est trop éprouvant et trop long pour cette génération de l’immédiateté ?
Oui, parce que c’est trop dur. Il a seize ans, il a une vie à affronter et il est amputé. Je pense que Max je l’ai mis dans la situation la plus difficile pour un être humain. D’ailleurs dans une des phrases que j’avais écrites et que j’ai enlevée, Max dit : « Pour découvrir tout ça, il m’avait fallu rencontrer un chirurgien, une bibliothécaire, deux SDF, il fait la longue liste de tous ces gens qui l’ont amené à ça, une découverte douloureuse mais qui le réconcilie avec la vie. Souvent pour guérir, il faut rencontrer une chaîne de gens. Un psy, c’est déjà un pas sur le chemin, mais ça ne suffit pas. La bibliothécaire est un personnage clé également. A travers elle, je voulais rendre hommage à deux auteurs qui m’ont aidé dans la vie, Jane Austen et Marcel Proust.
Tant qu’on n’a pas vécu quelque chose de vraiment grave, on n’a pas conscience de la chance qu’on a d’être en vie ?
Oui en même temps on a soif d’une parole qui vous dise que la vie c’est comme ça. A partir de treize, quatorze, quinze ans, on commence à voir conscience des aléas de la vie. Dans une famille quand il y a une rupture ou une perte d’emploi, on a conscience que la vie a ses aspérités. Ce n’est pas un hasard si Max devient un spécialiste des écosystèmes forestiers. Ce n’est pas un hasard s’il rencontre cette jeune femme après. Tout cela naît de cette tragédie qu’il a vécue. Je pense qu’il était plein de failles au début, mais devient un être très aimable. Jade me touche aussi car elle a une force qui accepte sa vulnérabilité. Alors que Max est fragile de ne pas vouloir accepter les failles des siens.
« Un livre, c’est du temps en boîte »
La littérature serait un moyen de trouver des clés ?
Il faut juste trouver son propre chemin, chacun ne guérit pas de la même manière. La littérature est un cadeau immense, car un livre c’est du temps en boîte. Souvent je lis des auteurs morts et je me dis que ces auteurs ont été lus des milliers de fois par des gens très différents et que le livre continue de parler. Les pages que Proust écrit sur la douleur de la perte quand le narrateur a conscience qu’Albertine va lui échapper, ces pages sont déchirantes. Je les avais lues à quinze ans et à dix-huit ans et avais trouvé cela virtuose, mais ça ne m’a pas bouleversé. Quand je les ai relues plus tard, j’ai pensé à l’être humain et ce qu’il avait dû endurer pour écrire ces mots-là et je me suis sentie tout à coup fraternelle de Proust.
Vous lisez de la littérature de jeunesse contemporaine ?
J.K. Rowling a été une grosse révélation. Mais j’aime aussi Timothée de Fombelle, Jean-Claude Mourlevat, Marie-Aude Murail et La Passe-Miroir de Christelle Dabos que je viens de finir. Récemment, j’ai surtout lu des romans sur la Première Guerre mondiale car c’est le sujet de mon prochain livre qui paraîtra en août. C’est un roman différent des autres. Je ne voulais pas spécialement écrire un roman historique, et puis j’ai commencé à me documenter et là, pareil je me suis retrouvée hantée pendant un an ½ par des Poilus ! Je viens juste de faire sortir les fantômes de chez moi. J’ai lu Maurice Genevoix, Ceux de 14, c’est magnifique il a un ami Robert Porchon dont il parle dans le livre et qui meurt. Pendant des mois, j’avais Robert et Maurice chez moi et lorsque je recevais des amis, je m’asseyais au bout du canapé, car j’avais le sentiment qu’ils étaient assis à côté de moi.
Pourquoi écrire seulement pour les ados ?
Au départ j’ai écrit de la littérature jeunesse par hasard. Je fais en fonction des personnages qui me viennent. Mais c’est surtout une envie. Et lorsqu’on fait des rencontres dans les classes, qu’on se trouve face à ce lectorat, en pleine croissance, qui déploie ses ailes, on a un peu envie de leur donner des plumes supplémentaires.
Après la vague
Gallimard jeunesse, coll. Scripto
176 pages, 8,90 €
copyright des photos : C. Helie
[…] retrouver sur le site de l’Express l’interview de l’auteur, Orianne […]