On peut parler de tout en littérature ados, question de traitement. Voici deux romans à mettre entre les mains des quatorze ans et plus : harcèlement, sexe, alcoolisme, dépendance à la drogue… Autant avoir lu sur ces sujets avant d’y être confrontés. Des romans contemporains intelligents pour mener sa propre réflexion.
Comme des images
Clémentine Beauvais – Sarbacane, 204 p. 14,90 €
« Derrière chacun d’entre nous sur le bord de sa chaise, se tenait une famille qui agrafait des espoirs et des exigences depuis sa naissance à ses photos de classe et qui répétait Mais oui, ma fille est en seconde à Henri-IV, elle va être chirurgienne, polytechnicienne, astrophysicienne, agrégée de mathématiques. Ça, c’est pour situer. »
Comme ils ont l’air sage en effet, ces ados du lycée Henri-IV. Studieux, bien élevés, de bonne famille pour la plupart, éduqués comme les bêtes de concours qu’ils sont censés devenir. Oui mais. Egoïstes, manipulateurs, inconséquents sous d’autres aspects. Tout commence lorsque Léopoldine – élève brillante de Seconde – rompt avec le beau Timothée pour Aurélien, l’intello binoclard. La réplique est immédiate et dans l’air du temps : une vidéo de Léopoldine en pleine action très embarrassante postée à tout le lycée, profs et parents compris, et sur YouTube. Dans la très sérieuse institution de la rue Sainte-Geneviève, c’est le malaise.
Léopoldine est la caricature de la fille populaire : jolie blonde, sympa, hyper brillante qui passera en Première S sans forcer, déjà sur les bons rails. Accablée au départ par l’acte ultra violent de son ex à son encontre, la donzelle accuse pourtant le coup. Après tout, autant assumer sa réputation d’« icône » ! Mais Iseult, sa jumelle monozygote moins charismatique, elle, n’assume pas. Aussi sombre que Léopoldine est solaire, Iseult est douée en dessin et s’imagine plutôt aux Beaux-Arts qu’à Polytechnique. La honte pour une « Hache Quatre ». Le tsunami déclenché par la vidéo de sa jumelle lui revient comme un boomerang et personne n’a rien vu venir…
Une langue enlevée et juste, des personnages crédibles et bien d’aujourd’hui, Comme des images séduit. Ils sont attachants et énervants à la fois, ces ados qui ont tout pour réussir, mais qui se gâchent. J’adore : les commentaires Web de la vidéo, les échanges mails bien vus des parents, les profs sadiques, le point de vue de la narratrice désemparée, amie d’Iseult à l’origine, monopolisée (manipulée ?) par la populaire Léo.
Clémentine Beauvais a vingt-cinq ans, elle est auteure jeunesse et termine un doctorat à Cambridge. Cette surdouée a écrit son premier roman à l’âge de dix ans. A lire ses conseils de techniques de travail, on imagine qu’elle connaît bien ces filières d’excellence qu’elle a fuies néanmoins pour « l’Anglicheland ». Elle dresse ici un portrait d’une justesse à faire froid dans le dos sur les pratiques adolescentes. La cruauté des cours de récré s’est déplacée sur les réseaux, démultipliant la force de leurs flèches dévastatrices et les dommages collatéraux. Derrière l’histoire de Léopoldine et d’Iseult, elle raconte surtout le fragile désarroi de ces ados et les ravages cachés du grand moule de l’excellence.
Addiction
Blake Nelson, traduit de l’anglais (américain) par Cécile Moran – Albin Michel, coll. Wiz, 348 p., 15 €
« Je commence à sentir les prémices d’une attaque de fourmis – c’est quand ton corps crie à ton cerveau : Où est notre dose quotidienne d’alcool ? Je la veux ! Maintenant ! Je me tortille sur mon siège. J’ai l’impression d’avoir des fils électriques tendus à l’intérieur de la poitrine et des épaules. C’est comme si un milliard de minuscules insectes envahissaient mon système nerveux. Je suis incapable de me concentrer sur le film, je serre les dents, les poings et j’ai la sensation que mon corps entier se retourne comme un gant. Après j’ai un gros blanc. Mon cerveau s’éteint. J’oublie complètement où je suis. Et cinq minutes plus tard, je suis de retour. Tout va bien, il ne s’est rien passé… »
Ce roman très juste raconte la rémission d’une adolescente en colère, prise dans la tourmente de l’alcool. Madeline dite « Maddie le pit-bull » a été envoyée dans le centre de désintoxication de Spring Meadow, à la suite de comportements ultra violents sous l’emprise de l’alcool.
Maddie décrit la vie au Centre, le rituel des journées, Trish l’amie un peu paumée qu’elle y rencontre, et puis surtout Stewart, le beau blond dont elle tombe amoureuse – même si le règlement l’interdit. Timidement, son histoire avec Stewart lui laisse entrevoir une lueur d’espoir, peut-être que la vie n’est finalement pas fichue à dix-sept ans à peine. A deux, ils peuvent s’entraider et s’en sortir. Dès lors la vie reprend le dessus. Une vie comme une seconde chance. Maddie rentre chez elle et épaulée par ses parents, elle réintègre le lycée, change de copains et tente de se construire une nouvelle vie. L’adolescente doit pourtant faire attention à pas boire, à ne pas fumer, à ne pas se droguer, à ne pas fréquenter les « mauvaises » personnes, à ne pas se mettre dans des situations à risques, à ne pas se laisser provoquer. A apprendre à dire non.
« C’est si étrange d’être sobre. On est sans défense face aux événements pénibles.
On est obligé de tout ressentir. Pas le choix. »
Peu à peu Maddie s’apaise et se surprend elle-même à prendre les bonnes décisions, à aimer étudier, à ne pas rechuter, tandis que Stewart prend un autre chemin…
J’aimais bien le titre original Recovery Road qui me semble plus juste qu’Addiction, car c’est vraiment de cela qu’il s’agit ici : un parcours initiatique, une route à emprunter vers la guérison, le chemin que se construit Maddie vers un nouveau « elle-même ».
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