Ses héros romantiques nous font entrer de plein fouet dans l’imaginaire. Que ce soit Tobie Lolness, son mini héros ou bien Vango, l’aventurier qui virevolte dans le monde de l’Entre-deux-guerres ou encore Victoria qui s’évade en lisant, l’interaction entre la littérature et le réel est toujours présente chez Timothée de Fombelle. Plus que jamais dans Le Livre de Perle, son plus beau roman. Timothée de Fombelle y crée un personnage de conte banni de son monde et qui percute la vie terrestre pour épouser le destin d’un homme. En poussant la porte de son bureau-atelier du Marais, j’ai l’impression d’entrer dans l’antre de Gepetto. Ça sent bon le bois, les vieux objets et les livres. Mais c’est bien dans la boutique de Monsieur Perle que je me tiens, pour preuve : les photos du petit lac brumeux du conte, les dizaines de valises entassées, des cadres… Rencontre autour de la genèse du livre, de l’importance des contes dans la vie, de l’écriture et du théâtre.
Comment est né Le Livre de Perle ?
Cela remonte à très loin. Il y a quinze ans ! Et c’est un projet dont j’ai cru qu’il allait me suivre toute ma vie avant que j’en fasse quelque chose. Je prenais déjà des notes dessus quand j’étais prof de collège à La Courneuve et je me disais : « Ne perds pas le cap de l’écriture. » Alors je me levais très tôt le matin et je commençais à faire mes listes d’objets tirés des contes. Au début d’ailleurs cela s’appelait la collection de Monsieur Perle et je rêvais d’une exposition autour des contes européens, comme un réel support à l’imaginaire. J’imaginais déjà l’arrivée de la collection sur des péniches dans Paris ! J’ai même postulé à la Villa Médicis avec ce projet, mais je n’ai pas été retenu.
Ce projet rejoint plein de choses que j’aime parce que j’aime aussi créer avec mes mains. Il est donc traversé par l’accumulation, le bricolage, la fabrication, l’imaginaire bien sûr et l’écriture. Je suis donc parti de cette masse qui partait un peu dans tous les domaines et qui s’est resserrée sur l’écriture jusqu’à ne plus mettre d’images du tout dans le livre. Il y a eu cette évidence qu’il fallait qu’il existe comme seul roman. Pourtant j’ai baladé mes valises dans la forêt ! J’allais regarder tous les matins les premières brumes pour les photographier, j’ai les cent photos de Perle, mais je voulais que le roman tienne pour lui-même.
Pourquoi ces vieilles valises de cuir ?
C’est l’idée du contenant secret. Pour moi, c’est la boîte dessinée par le narrateur dans Le Petit Prince, le pilote qui en a marre de ne pas dessiner le bon mouton et qui dessine la boîte en disant : «Ton mouton est à l’intérieur.» Ces valises sont la boîte de notre imaginaire. Et je préfère de loin que chacun se fasse son propre réceptacle à imaginaire. Voilà la valise, les objets des contes sont dedans.
Pourquoi un si long temps de maturation ?
Cela fait quinze ans que j’y pense, trois années que j’écris dont la dernière à fond. Donc au début je tâtonne, je rassemble mes valises pour faire diversion (rires) ! Et le véritable temps de l’écriture tranche. Très récemment lorsque j’ai rassemblé ici mes valises, j’ai réalisé que tout convergeait. L’aspect artisanal, concret, j’en ai besoin parce qu’une partie de l’écriture dans sa dimension très abstraite ne me correspond pas. Apparemment je ne suis pas le seul, j’ai appris par exemple que Philip Pullman a un atelier de menuiserie près de l’endroit où il écrit. Finalement, le roman, c’est le théâtre avec des moyens illimités et avec le contrôle. Tu ne le lâches pas tant qu’il ne ressemble pas à ce que tu souhaites. Même s’il y a des dates de rendu avec un éditeur qui finit par vous arracher le texte (rires) !
À quels contes faites-vous référence ?
Mon but était de piocher dans l’imaginaire commun des contes européens : Le Petit Chaperon rouge, Hansel et Gretel, Cendrillon, Le Petit Poucet, Peau d’âne, etc. Mais pas d’aller chercher une histoire précise. Je ne voulais pas faire un truc savant sur les contes et au final, ils ont été un peu gommés. C’est un processus qui a été lent. Au début, on rentrait dans chacuns des différents royaumes correspondant à chaque conte. Peu à peu, ça s’est resserré sur l’itinéraire de mon héros, Ilian-Joshua Perle qui est devenu le squelette principal et qui symbolise les contes. Les autres personnages sont comme des ombres qui apparaissent de temps en temps dans des objets, certaines évocations sont d’ailleurs assez énigmatiques. Je laisse un peu le flou…
Quel a été le déclencheur de ce personnage banni du monde des contes ?
L’impulsion provient de plusieurs rencontres autour de l’âge de quatorze ans. C’est le moment où j’ai l’impression de sortir du paradis de l’enfance pour de nombreuses raisons : un deuil d’une tante très proche et adorée qui disparaît brutalement, un peu avant un premier amour complètement impossible et jamais dit et, dans le même temps le voyage, car je pars habiter en Afrique. Tout cela bouleverse ma vie et j’ai la sensation que plus rien ne sera comme avant. Le tourment de l’amour, la tragédie de la mort, le déracinement, l’exil. Attention Le Livre de Perle n’est pas un roman à clés du tout, quoiqu’il y a quand même un trousseau qui se balade quelque part (rires) ! Ensuite il y a eu cette rencontre dans la forêt, dans la maison familiale des Deux-Sèvres. J’y croise un personnage de bricoleur un peu fou que j’approche ou plutôt que j’espionne et qui est le point de départ du personnage de Perle. Même si je réalise qu’en écrivant j’ai eu ce Monsieur Perle avec moi pendant quinze ans, c’est seulement avant l’été, en écrivant sur une chemise le mot « PERLE » que tout-à-coup je vois le mot PERE avec le L au milieu – et mon père s’appelait Laurent avec un L ! En écrivant, je savais qu’il y avait aussi des points communs avec mon père. Mon père m’a transmis l’imaginaire et le bricolage car il était architecte mais il était aussi peintre, plombier, maçon… Il a bâti une maison de ses mains, c’était un vrai créatif. Mais peu avant de mourir, il m’a confié : « Quel con j’ai été de ne pas avoir plus créé ! » Ça conditionne un tout petit peu. En tout cas, cela donne de l’énergie pour y consacrer l’essentiel de son temps.
C’est un roman très ambitieux !
C’est très construit et au final, il est bon que ce soit un petit roman de 300 pages. Mon éditeur a eu peur que cela devienne une usine à gaz avec tout ce que je voulais mettre dedans. J’aurai pu en faire une machine de guerre en faisant une véritable OPA sur les contes, en les avalant tous. Mais je suis content avec cette histoire d’exilé des fééries qui débarquent dans notre monde. Au départ il y avait de quoi faire quelque chose de plus grand spectacle, mais j’avais davantage envie d’en faire un roman de l’intime. Cela clôt une sorte de cycle après Tobie Lolness et Vango.
Pourquoi vous êtes-vous mis en scène dans le livre ?
J’en avais vraiment besoin à cause ces trois fils tissés bien serrés du conte, du roman et de ma vie. C’est vrai que cela peut paraître troublant car ce n’est pas dans les codes habituels du roman jeunesse. Cela emprunte aussi par certains aspects à la poésie dans le face-à-face avec la muse. J’assume complètement les risques de ce parti pris. Les codes explosent, certes, mais je fais en sorte qu’ils soient acceptés. J’ai un proche qui l’a lu et depuis semble hyper troublé, il me regarde à présent, comme si j’étais un peu Houellebecq (rires) !
C’est plutôt une quête de l’impossible qu’un traditionnel roman d’apprentissage ?
Pour le jeune lecteur qui ne lit encore que de la littérature jeunesse ou du fantastique, j’espère l’amener à faire un petit mouvement. Les lecteurs qui me suivent vont peut-être découvrir autre chose et réfléchir à ce qu’est l’écriture.
Cette construction en forme de puzzle avec tour à tour des flash-back, des bonds en avant, c’était casse-gueule ! Et ça fonctionne.
C’est venu au moment de l’écriture. Il faut l’accepter. Mais je n’emmène pas mes lecteurs comme ça pour rien, il faut que ça vaille le coup ! Cette construction qui était à la fois la vie d’un jeune homme qui débarque dans notre monde en 1936 et qui va chercher la porte de sortie pour rentrer dans son monde et à la fois la vie d’un jeune prince dont le frère est jaloux et qui grandit dans un palais isolé, amoureux d’une fée, etc. Ce sont des choses très différentes, même si c’est le même personnage. Et d’un autre côté, il y avait ma propre rencontre avec l’imaginaire. Donc soit je faisais trois parties, soit je l’imbriquais dans la construction. J’ai beaucoup travaillé pour trouver l’équilibre ! Le moyen, c’est le style, c’est ça qui fait que ça marche et que c’est crédible. Sur le papier ça marchait tout juste, mais à moi de le faire croire… Au départ j’étais parti de moi à quatorze ans et le premier chapitre est venu après : cette fée « défroquée » qui court sur la plage, j’ai retravaillé le texte pour qu’il soit bien à sa place. Je ne pouvais rien permuter ou supprimer, sinon ça foutait tout en l’air. Il y a une vraie géométrie cachée ! Pour l’instant je vois surtout les coups de burin, le boulot effectué pour que l’ensemble tienne plutôt que l’effet produit. Si la magie fonctionne, ça me fait très plaisir.
Ilian est exilé « dans la seule terre, le seul endroit où l’on ne croit ni aux contes, ni aux fées », c’est de la provoc pour qu’on adhère à votre cause ?
Oui ! C’est un peu mon cheval de bataille de laisser leur place aux histoires. Beaucoup de choses nous poussent à être très incrédules, il y a une petit pique ici, car je suis persuadé que la fiction n’existe que si on la croit.
La figure de la fée Olia est très importante : est-elle romantique, tragique ou les deux ?
C’est un peu chevaleresque. Toutes les histoires d’amour du livre passent pas cette fée : celle d’Ilian, moi aussi je tombe amoureux d’elle. J’aimais bien l’idée d’être le rival raté d’un prince de conte de fées ! Je ne pouvais pas lutter. Et c’est sûr que c’est l’image de la représentation de l’amour et du tragique. Ma découverte de l’amour et de la mort dans un mouchoir de poche à l’adolescence… Découvrir les tourments de l’amour, c’est comprendre que plus jamais on ne sera tranquille. Et lorsqu’on découvre en même temps qu’on est mortel ! Cela fait beaucoup. Dans mes histoires, je n’arrive pas à présenter des amours artificielles, pour moi l’amour c’est pour toujours. C’est un thème qui m’est cher, et j’aimerais écrire un jour une version urbaine de Tristan et Iseult un peu décapante. C’est le genre de mythe que j’aime mettre dans mes histoires.
Pourquoi faire tomber Ilian dans les années 1930 ?
Je voulais démarrer dans les années de mon héros Vango et aller jusqu’à aujourd’hui. Il tombe donc dans cette période qui me passionne et qui est un accélérateur de vie. J’avais besoin de ce nœud-là. Il décide donc de s’embarquer dans la guerre et j’ai choisi les spahis parce que j’ai un grand-oncle qui l’était et je trouve qu’ils ont belle allure, je suis très sensible aux ambiances de cavalcades aux portes du désert. J’aimais bien le côté déraciné du brigadier qui vient d’un petit village du sud qui débarque dans une guerre pas du tout faite pour lui. Dans l’errance des champs de bataille, tous deux sont déracinés.
Pourquoi écrire pour la jeunesse ?
Parce que je n’y vois pas de limite ! Et cela me préserve d’une compétition littéraire qui ne m’attire pas énormément. Et surtout pour écrire des livres qui ne sont pas interdits aux jeunes lecteurs, c’est la seule chose qui définit les livres jeunesse : un livre jeunesse tend la main à un lecteur de quatorze ans alors que si je traversais la rue et que j’étais publié dans la collection blanche, franchement l’âge sélectionne énormément… et je ne veux pas fermer la porte. C’est ce public-là que je veux toucher d’abord. Car à cet âge-là, on est touché beaucoup plus profondément, on est marqué pour toujours par ce qu’on lit ! Pour moi, c’était Les aventures de Tom Sawyer et Huckleberry Finn, j’étais totalement pris dans le Mississipi de Mark Twain. Ou des romans comme Ganesh de Malcom J. Bosse sur l’Inde. Je lisais tout ce que je trouvais dans la bibliothèque chez ma grand-mère au bord de la mer, et quoi que ce fût, je le lisais comme un roman d’aventure, même L’Étranger de Camus, je prenais ça comme un roman d’aventure.
La dramaturgie, c’est une nécessité ?
C’est un équilibre de vie entre le travail solitaire de l’écriture et le partage sur scène. Le théâtre m’a tout appris car à douze treize ans j’écrivais du « théâtre action » où chaque mot faisait avancer l’histoire. Le théâtre a été mon école de l’écriture ! Il n’y a rien pour faire joli, il doit toujours se passer quelque chose. Je pense que c’est aussi une fidélité à ce que j’aime : la scène, les décors, la lumière, les costumes… et dans le théâtre j’aime que ce soit fait avec des bouts de ficelle. Et puis, il y a une tradition familiale : tout le monde est acteur mais personne ne l’est professionnellement. On fait tous des spectacles, on a tous créé des troupes, du côté de mes grands-parents paternels, on faisait du théâtre dans le Limousin dans les années 1920/1930, on montait des spectacles, on écrivait et on montait des opéras, mais cela n’a jamais passé la barre du théâtre amateur. Mon grand-père paternel était ingénieur, il travaillait dans les carrières de marbre. De l’autre côté, j’ai un grand-père qui était en captivité pendant la guerre et qui était dans la cavalerie. D’ailleurs dans Le Livre de Perle, il y a un lieutenant à cheval avec ses hommes. Cet homme qu’Ilian croise et qui monte comme un jockey, c’est mon grand-père ! Il était là sur le même champ de bataille, le 21 juin 1940. Le même mois, mon grand-père a été fait prisonnier. Après la guerre, il a fait une très grande carrière : il est devenu directeur de cabinet sous De Gaulle, a été ambassadeur… Mais il faisait aussi du théâtre à fond. Il avait une plume exceptionnelle, il connaissait Cyrano par cœur du premier au dernier vers, il a même reconstitué des pièces en captivité de mémoire. Donc, tout le monde créait d’une manière ou d’une autre mais cela restait dans le cercle privé et, d’un certain côté, j’ai un peu dérogé. Je suis le premier de ma famille à faire un métier de saltimbanque ! Je suis leur représentant à tous.
Votre prochain livre ?
J’ai un projet d’album pour les petits qui paraîtra en 2015. C’est un plaisir de travailler main dans la main avec une illustratrice. Cela s’appelle La Bulle, c’est un conte sur une petite fille qui a toujours une bulle sombre au-dessus d’elle. Un jour, elle se rebelle, grimpe dans cette bulle et y vit une aventure. Je l’ai écrit pour Éloïse Scherrer, une jeune illustratrice talentueuse qui a fait son diplôme sur le monde de Tobie Lolness. Cela sera un dessin très classique, très intemporel et très beau !
Vous avez participé récemment à un atelier d’écriture au Labo des histoires, avec le Président en invité surprise. Ça lui a plu ?
Il a bien joué le jeu ! J’avais mis dans des petites boîtes en verre des reliques de contes et les enfants devaient raconter comment ces fragments arrivent dans leur vie et ils ont bien travaillé ! Tenez, je vous montre : voilà le « Dé à coudre attribué à la Belle au Bois Dormant », « Petit pois retrouvé sous des matelas princiers », «Bourse contenant des débris de soulier de vair » [voir photo]. Quand, j’ai sorti les « Lunettes de Merlin l’Enchanteur », François Hollande a dit : « Je vais partir avec, ça peut me servir ! » (rires). Je soutiens ce beau projet qui fait partie des projets présidentiels. Je parraine aussi cette année Les Petits Champions de la lecture qui touchent 15 000 élèves de CM2 ! C’est pour eux une manière de découvrir le texte sans la pression scolaire et ce sont d’autres atouts qui permettent de rentrer dans le texte. Il faut être capable de le vivre, de plus cela leur donne accès à la littérature jeunesse d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous frappe le plus lors de vos rencontres avec les jeunes ?
Ce qui me frappe, c’est que le choc de la découverte de la lecture ou d’un univers à travers un roman reste énorme. Il se fait souvent à la faveur d’un auteur qui vient dans la classe. Tout à coup, l’enfant découvre que, derrière le livre, il y a un mec qui n’est pas mort, qui y croit complètement et là, ça devient dingue ! Cela devient mieux que tous les trucs virtuels ! Je suis impressionné que, dans la grandeur de l’offre de l’Entertainment, le livre reste encore pour eux une expérience unique et je vis avec eux ce moment de la découverte. Les témoignages que je reçois sont très forts et c’est très satisfaisant de jouer le rôle de l’éveilleur de lecteurs. Ça donne tout son sens à mon travail. Ce qui m’impressionne, c’est que le livre n’est pas désuet, il garde une puissance de feu dans la possibilité de retourner des jeunes encore non lecteurs et là, la littérature de jeunesse a un rôle énorme à jouer car elle fait sortir le livre en tant qu’objet d’étude. Ma grande découverte dans ce métier reste l’échange avec les lecteurs. Je ne pensais pas qu’on était autant payé en retour de témoignages spontanés ! Il y a une relation vraiment directe, très spontanée. Cela pousse à ne pas s’économiser une seconde.
Voir la bande annonce : [youtube]https://www.youtube.com/watch?v=tICoZYhwZ0Q [/youtube]
Le livre de Perle
Timothée de Fombelle
304 p. Gallimard jeunesse 17 €
Copyright des photos : C Helie/Gallimard
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