En seulement quatre romans, Eric Pessan s’est imposé dans l’exploration de la vie des ados d’aujourd’hui. La plus grande peur de ma vie parle avec justesse d’amitié, de solidarité, du harcèlement et des conséquences excessives auquel il conduit.
Quand un adulte approche un collégien, il veut toujours savoir les mêmes choses, c’est comme un interrogatoire de police, avec le sourire en plus. Les questions concernent l’état civil, la classe, l’avenir et les loisirs. Alors, allons-y : je m’appelle David, je suis en cinquième, je n’ai aucune idée de ce que je veux faire plus tard, je ne sais rien faire d’extraordinaire (je veux dire je n’ai pas d’activités précises ; je ne joue pas de piano, je ne suis pas champion de skate ou de judo, je ne pratique pas de sport en club, je ne suis inscrit dans aucune association). Un enquêteur qui fouillerait mon sac découvrirait trois cartes : celle de la piscine, celle de la bibliothèque et celle du collège bien sûr. C’est tout ce qu’il y a à dire de moi, je peux simplement ajouter que j’ai trois amis : Jordan, Norbert et Lalie. Lalie, c’est plus qu’une amie, c’est aussi une fille, mais ça, c’est une autre histoire…
Depuis son premier roman jeunesse, Plus haut que les oiseaux, l’écrivain multiforme Eric Pessan s’est fait une place bien à lui. Un regard intime qui explore autant les failles de l’adolescence qu’il en révèle la beauté et la force. Dans La plus grande peur de ma vie, il met en lumière les liens qui relient des amis à un secret inavouable. Une situation que chaque adolescent a, un jour, expérimentée : l’acte interdit, la complicité, l’amitié et la façon dont les solidarités se font et se défont face à la peur de la sanction, la prise de conscience de l’acte irréfléchi et partagé.
Jordan, Norbert, Lalie et David sont amis depuis toujours. Même enfance, même immeuble, mêmes écoles… les voilà dans la même Cinquième au collège. Ce jour-là, Norbert arrive en classe avec des yeux un peu fous, et quelque chose de dur, de métallique qui claque dans son sac. Personne ne voit, personne ne remarque rien, sauf Jordan, Lalie et David. Qui savent. Qui ont compris ce qu’il y a dans le sac. Qui s’interrogent du regard et qui frissonnent.
Quelques jours plus tôt, la bande traînait dans une vieille maison de la ville, sorte de manoir désaffecté. Au fond de la cave, ils font une drôle de découverte : une grenade de l’armée américaine qui date de la Seconde guerre mondiale. Ils s’amusent à la soupeser, puis tout à coup réalisent qu’une grenade c’est une arme, ça peut exploser n’importe quand. Finalement, ils décident de la laisser. En se sauvant, ils ont pris le temps avec des branchages à terre de former quelques lettres : ATTENTION. Au cas où… Et ils rentrent, chez eux, le souffle court.
Le lendemain, à la tête que Norbert affiche en classe, les trois amis ont deviné qu’il est allé récupérer l’arme. Dans quel but ? Pour quelle folie ? Les trois amis s’interrogent en silence, scrutent le moindre fait et geste de Norbert, fébriles. Les minutes passent lentement comme des grosses gouttes de sueur imaginaires que David sentirait couler le long de son dos : « Je n’écoute rien. Le sac de Norbert occupe tout mon esprit. Mille fois j’ai envie de lever le doigt et de le dénoncer, mille fois je ravale mes mots. Si je trahis Norbert, il aura de gros problèmes. Et sans doute ses parents aussi. Et sans doute Jordan et moi aussi. Et Lalie également. Et je ne veux pas que Lalie soit mêlée à ça. Alors je me tais…»
Chaque minute de la vie banale du collège se transforme alors comme autant d’instants en suspension. Les amis craignent la goutte d’eau qui fera exploser Norbert. Ils savent qu’il n’est pas populaire, une proie facile pour le meneur du collège, Alexandre, celui qui fait régner son ordre, avec sa bande de courtisans bien serviles. Ce jour-là, à la cantine, a lieu un accident archi banal, quelqu’un fait un croc en jambe à un autre, le plateau de déjeuner s’envole, et se répand partout. Un truc qui arrive tous les jours et qui amuse la cantonade car « au collège, tout est bon pour se distraire ». Sauf que ce jour-là, celui qui a été humilié de la sorte et qui, jusqu’à présent, n’a jamais répliqué à toutes les petites vexations depuis le début de l’année porte une grenade non dégoupillée dans son sac. Et ça, ça change tout.
Eric Pessan met le doigt sur ce mécanisme des petites humiliations quotidiennes que certains jeunes prennent un malin plaisir à infliger aux plus vulnérables, aux plus inaptes à se défendre. A force de marteler quotidiennement leur maltraitance, ils peuvent engendrer des réactions disproportionnées, parce que les adolescents ne sont pas bien armés pour répliquer.
On sort grandi de ce récit, en suivant le point de vue de David, ses sentiments, sa réflexion, sa lucidité sur la situation, ses hésitations sur la manière de se comporter. Son choix pour la solidarité et l’amitié, une arme indispensable face à la malveillance. On se demande d’ailleurs comment on se serait comporté soi-même face aux provocations, et surtout, face à la responsabilité de l’acte de Norbert. « C’est ça grandir : on découvre des choses qu’on ne voyait pas avant. On perd des rêves au fur et à mesure qu’on gagne des libertés » Eric Pessan offre un court texte, vif, introspectif qui fait du bien et permet à l’adolescence de se regarder en face. Sereine.
La plus grande peur de ma vie
Éric Pessan
120 p. l’école des loisirs, Médium, 13 €
Un livre pratique pour les ados
pour apprendre à se défendre du harcèlement
© photo : Patrick Devresse
[…] même que La plus grande peur de ma vie nous avait fait vibrer, on ne lâchera pas Dans la forêt de Hokkaido sans en connaître […]