Suspense assuré pour le dernier roman d’Éric Pessan nimbé de fantastique. Dans la forêt de Hokkaido conte l’incroyable expérience empathique entre une adolescente française et un enfant japonais, perdu au milieu d’une forêt où les ours rôdent. Intense.
« J’ai poussé un long cri, très long, un cri terrible qui n’en finissait plus de jaillir de ma gorge, de monter dans mon ventre, de naître de ma peur, un cri qui charriait la douleur, la terreur et l’incompréhension, un cri d’impuissance aussi, comme un appel au secours, comme quelque chose qui se casse et qui ne pourra jamais se réparer (…)
J’ai hurlé, hurlé, et quand la porte de ma chambre s’est ouverte d’un coup, j’étais assise dans mon lit, la couette rejetée, et je criais obstinément dans le noir (…)
Le cri était né dans mon rêve. »
Julie, une ado de quinze ans se réveille d’un cauchemar étrangement réel. Un petit garçon a été abandonné dans une forêt au nord du Japon. Ses parents l’ont laissé sur le bord de la route et l’enfant, désemparé, s’est mis à courir loin à travers bois.
Le rêve est si réaliste qu’il déstabilise Julie. Elle a le sentiment que ce petit garçon existe en vrai, qu’il a besoin d’elle. Mais au-delà de ça, elle EST le garçon. Elle se trouve dans la forêt à sa place, elle vient d’être abandonnée. Elle est connectée à lui dans son sommeil. Ce rêve est si présent qu’il l’épouvante. Pourtant Julie n’a qu’une envie, se recoucher, retrouver le sommeil et le rêve. Tenter de comprendre ce qui arrive à l’enfant. Faire l’impossible pour l’aider. Car en rêve, Julie peut interagir avec lui à chaque instant, l’influencer, tenter de sauver sa peau. Pourtant il se trouve à près de 10 000 kilomètres de distance ! Quelle folie, quelle responsabilité qu’elle garde bien secrète. De toute façon, personne ne la croirait. Sauf Elliot.
Aucun doute, Julie ressent bel et bien ce que vit l’enfant, voit tout ce qui lui arrive, perçoit son environnement, ses dangers : « Kamikakushi, je pense. C’est le mot qui m’est venu à l’esprit quand j’ai songé qu’un diable pouvait venir m’attraper. Et je sais qu’il signifie littéralement sauvé par les dieux et que l’on emploie ce mot au Japon pour désigner une personne qui disparaît sans laisser de traces. J’ai des expressions et des phrases en japonais plein la tête. Je ne connais pas cette langue, je ne l’ai jamais apprise… »
Comment une fille française peut-elle communiquer avec un petit Japonais livré à lui-même, à la faim, à la soif, au froid… aux ours, qui sait ? Julie tente de lui venir en aide mais l’enfant la désarçonne par ses réactions. Soudain elle tombe gravement malade, brûlante de fièvre, agitée, déshydratée, comme si les dangers courus par le garçon lui arrivaient à elle… Lui ne semble ni inquiet, ni agité, il reste calme, contient sa peur au-dedans tandis que Julie monte en température et, brûlante, s’enfonce dans la forêt de Hokkaido et le rêve.
A bout de force, l’ange-gardienne tire quand même les ficelles de la vie du petit Japonais comme une marionnette à distance, mais elle ignore encore pourquoi elle a cette capacité. Reste un secret à percer avant qu’il ne soit trop tard.
Dans cette histoire inspirée d’un fait divers, Eric Pessan tente de s’approcher au plus près du pouvoir de l’empathie. Que savons-nous des autres ? Que pouvons-nous pour eux ? Savons-nous nous mettre à leur place pour au moins les comprendre ? Pourquoi Julie est-elle le réceptacle de cette histoire ? Pourquoi est-elle l’unique lien qui relie l’enfant au monde extérieur ? Télépathie ou folie ?
De même que La plus grande peur de ma vie nous avait fait vibrer, on ne lâchera pas Dans la forêt de Hokkaido sans en connaître l’issue. Et on dévore ce roman à suspense comme une véritable expérience. Surnaturelle ? Peut-être.
Dans la forêt de Hokkaido
Eric Pessan
132 p., l’école des loisirs, coll. Medium, 13 €
© photo : Patrick Devresse
lewerentz dit
Très tentant ! Noté, merci !