C’est un joli conte d’hiver que nous raconte Didier Lévy dans cet album illustré par Tiziana Romanin. Franz, Dora, la petite fille et sa poupée nous envoûte. Merveilleux parce que son histoire est vraie, tendre et généreuse, avec un parfum de magie parce qu’elle a été conçue par un grand artiste.
« Il ressemble un peu à un grand enfant, ce monsieur Franz. Sous son costume étroit, on devine le corps, sec – et puis il y a ce visage, un visage de petit garçon qui n’aurait pas voulu (ou réussi) à grandir.
Tous les jours, il vient se promener avec Dora, au parc. C’est déjà le mois de novembre, mais l’été, comme s’il avait oublié quelque chose est revenu. Soleil et douceur. »
Et si on commençait l’année par un joli mensonge ?
Un de ces mensonges d’artiste qui embellissent la vie, qui la rendent plus humaine, plus supportable et pleine d’espoir. Oh, un petit mensonge de rien du tout… un mensonge pour nous rendre meilleur, et nous tenir plus près des autres.
Il était une fois une petite fille triste qui pleurait dans un parc. Elle s’appelait Ingrid.
Elle y croise Monsieur Franz et Dora, sa jeune amoureuse. Une heureuse rencontre. Franz n’est pas très en forme, il tousse beaucoup, mais ce qui le rend encore plus malade, c’est de voir une jolie petite fille aussi triste. Triste, parce qu’elle a égaré sa poupée adorée.
Alors, Franz lui dit que sa poupée va bien, qu’elle est juste… partie en voyage. Comment le sait-il ? Parce qu’elle le lui a écrit tout simplement, pour qu’il puisse expliquer à sa petite propriétaire – qui ne sait pas encore lire – qu’elle va bien. La poupée voulait juste grandir et voir le monde. Promis juré, demain il lui apportera la lettre ! Rendez-vous est pris au parc pour le lendemain.
Et voilà comment une correspondance farfelue va naître entre une poupée partie faire la bamboula dans une station de montagne en Suisse et le plus grand écrivain de son siècle, Franz Kafka. Durant trois semaines, à la fin de l’année 1923, alors que les jours de l’écrivain sont comptés, rongé par la tuberculose, celui-ci va s’appliquer à écrire des missives destinées à la petite Ingrid racontant la vie de cette poupée qui a été « prise d’une irrésistible envie de voyager ».
C’est une histoire vraie que Max, le meilleur ami de Franz Kafka, et Dora Diamant son amoureuse polonaise, ont rapporté dans leurs Mémoires. Paul Auster raconte d’ailleurs cette anecdote dans Brooklin Follies (Actes Sud). Et c’est une formidable idée d’en avoir conçu un album pour enfants.
On sent dans cette anecdote toute la tendresse et l’importance que Kafka met dans cette entreprise littéraire afin que la petite fille soit tout à fait rassurée sur le sort de sa poupée. On le sent porté par l’amour et le soutien que Dora lui apporte à vouloir consoler l’enfant. On ne peut s’empêcher de penser à la démarche de J.R.R. Tolkien lorsqu’il écrivit ses formidables Lettres du Père Noël à ses enfants, retraçant les facéties de l’Ours polaire et les déboires du Père Noël qui s’excuse de ne pouvoir livrer ses cadeaux pendant la guerre…
Le texte de Didier Lévy, d’une très grande pudeur, chante l’amour de l’enfance et l’énergie qu’on est tenu de mettre pour maintenir ses rêves à flot. L’illustratrice Tiziana Romanin retrace avec subtilité le Berlin des années 20. Il y a un je ne sais quoi d’Europe Centrale très évocateur dans son dessin, dans la pâleur des mains, dans l’humilité des visages aux courts chapeaux, dans la sobriété des lignes… La douceur des gris, des ocres et des couleurs automnales de l’album porte cette histoire dans un écrin, comme l’un des moments solaires et précieux des derniers instants de l’écrivain. Solaire comme l’amour que Dora lui inspirait. Car il fallait bien tout le talent de l’artiste, mais aussi la générosité d’un amour naissant, pour créer un mensonge de génie auquel nous sommes tous prêts à croire.
D’ailleurs, vous, je ne sais pas, mais moi je suis sûre que la poupée aura fait le voyage jusqu’à Prague pour déposer une fleur sur la tombe de Franz. Un edelweiss, bien sûr.
Le blog de Tiziana Romanin
Franz, Dora, la petite fille et sa poupée
Didier Lévy, ill. Tiziana Romanin
40 p. Sarbacane, 15,90 €
(dès 7 ans)
parution le 6 janvier 2016
thania dit
c’est vrai, c’est un joli conte d’hiver