Couronnée de la Pépite d’Or au dernier Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, le nouvel album de Blexbolex, Nos vacances, est un petit chef d’œuvre d’inventivité et de virtuosité qui remue nos émotions. Déjà classique.
Quel magicien ce Blexbolex !
On ouvre toujours un de ses albums comme un cadeau précieux. Avec ses promesses de rêve, de cocon familier et aussi quelque chose de fragile qui pourrait nous échapper ou nous ravir, selon le temps qu’on y consacre. Car un album de Blexbolex attend patiemment son lecteur. On se souvient de Romance, album déjà récompensé d’une Pépite en 2013, la Pépite « Ovni », parce qu’il ne ressemblait déjà à rien de connu.
Il faut prendre son temps pour goûter toute l’originalité de Nos vacances. Quand on l’ouvre, il fleure bon le grain des vieux illustrés de grand-mère, une imagerie des années 60, et en même temps s’y mêle quelque chose de terriblement contemporain. Car malgré ses airs de sérigraphie, le livre est réalisé à la palette graphique.
Mais comment fait-il ? Pour réussir ce traitement si particulier, cette mise en scène, ce dynamisme dans l’histoire. Il y a quelque chose d’un peu mystérieux pour réussir cet équilibre savant. L’ingrédient indispensable dans la grammaire visuelle de Bernard Granger, alias Blexbolex, c’est le mouvement permanent. En feuilletant l’album qu’on lira et relira maintes fois, on a l’impression que se déroule sous nos yeux un film muet avec ses trains qui défilent à toute vitesse, ses chapeaux qui s’envolent, ses personnages qui traversent les pages, et entre eux, le temps qui s’étire.Les plans se succèdent, plan larges ou rapprochés, vignettes multiples qui enchaînent l’action ou brouillent nos pistes, déroulant une bobine avec plusieurs séquences dans la même page, comme autant de perspectives.
Pas un mot dans cet album. Du silence, du temps vide comme seules savent les fabriquer les vacances. Chacun se racontera son histoire en s’identifiant à l’un ou l’autre personnage. Ce qui frappe au premier abord, c’est ce titre Nos vacances, une promesse heureuse et solaire que vient contredire de suite une forêt au parfum d’automne, des champs de paille jaunis et un ciel bleu-gris chargé de fin d’été. Le ton est donné, ces vacances-là n’auront pas la saveur de la légèreté.
Une petite brunette au premier plan triture un ruban qu’elle semble tirer du bleu du ciel. Le voilà emporté par le vent, comme si cette fin d’été allait lui filer entre les doigts. Au centre du lac, il y a une île avec une sorte de manoir. Un décor magique. Mais voilà déjà qu’on l’appelle. Il faut se rendre dare-dare à la gare avec Grand-père qui attend un visiteur. Pff ça commence mal, il va falloir partager ce coin de rêve ; la surprise est arrivée : un éléphanteau affublé d’une casquette de yachting et de clubs de golf. Mais pourquoi diable Grand-père a-t-il invité cet inconnu balourd ? Notre fillette n’est pas partageuse.
D’ailleurs ça joue à quoi un éléphanteau ? C’est rondouillard, pataud et gâcheur de vacances, oui ! Ça ne joue pas aux jeux vidéo. Aux raquettes, encore moins, au ballon c’est une buse… Grand-Père va pourtant tout faire pour dérider ces deux-là en jouant les comiques de services. Peine perdue. La fillette se découvre cruelle avec l’intrus dont elle se débarrasserait volontiers. Quitte à aller un peu trop loin… et à le regretter.
Ces vacances laisseront-elles le goût amer d’une fin de saison ? Le livre révèle les regrets enfouis, les promesses oubliées et les moments de l’enfance qu’on aimerait enterrer à jamais et qui reviendront vous tourmenter. Blexbolex sait faire revivre tout ça et d’autres choses encore que chacun tirera selon son expérience et son imagination. Car en multipliant les plans, il nous permet de nous immiscer dans les rêves et les points de vue de chacun.
C’est un album ingénieux, délicat aux images chargées d’émotions, qui clôt admirablement l’année et mérite haut la main sa Pépite d’or. Un livre qui nous amène à réfléchir et à choisir entre moments égoïstes et moments de partages.
Bonne fin d’année à tous !
Lire une interview de Blexbolex
Nos vacances
Blexbolex
128 p., Albin Michel jeunesse, 18 €
(dès 6 ans)
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