Les aoûtiens d’Olivier Douzou et Frédérique Bertrand est un album renversant de créativité. Une pincée de haricots, une poignée de tomates et quelques envahisseurs de l’été nous offrent une triple lecture revigorante. De 5 à 95 ans.
« Et revoici Pierre et son grand-père qui avant était maçon, mais qui a décidé un jour de faire un grand potager. Voici Poney, que grand-père attache à un piquet pour tondre l’herbe. Comme Biquette. Comme Jean-Michel le mouton…»
Le texte de 4e de couverture annonce la couleur : « Une histoire à première vue un peu plan-plan avec deux plans de lecture et un plant de tomates. » Car tout est à prendre au deuxième degré dans cette histoire où pourtant, tout commence simplement… Voyez plutôt comme il est fier ce grand-père à moustaches, marchant à grand pas dans ses bottes et arborant ses gants verts de jardinier. Fier de montrer ce soir à petit Pierre la joie de cultiver son jardin (« bien mieux que toutes ces bêtises à la télévision »). Et toc !
Grand-père a découvert qu’il n’avait pas que le gant mais aussi la main verte et un plaisir immense à se concentrer sur ces petits riens, ces moments immuables tels que sentir la terre sous ses doigts, admirer ses courgettes, leur verser un peu d’eau, leur parler peut-être ? Grand-Père est soucieux de transmettre à son petit-fils son savoir-faire et ces instants précieux où le temps s’arrête.
Mais en deuxième plan, autre chose se joue… car le lecteur observateur aura remarqué – comme bientôt petit Pierre – qu’une tache verte insolite est apparue en haut de la page à droite, et même s’approche dangereusement du mur du fond du jardin, jusqu’à en détruire les briques une à une. Plus « la chose » impacte son environnement – dispersion des oies, cavalcade du poney, hurlement des animaux… – plus Grand-père se tient, immobile à genou sur le sol, fasciné, le nez dans ses plates-bandes. Alors qu’une soucoupe volante embarque la vache Geneviève vers une planète lointaine… Pierre aura beau vociférer et tenter d’attirer l’attention de son Papy, rien ne saura le distraire de sa contemplation terrestre.
Cet album d’apparence si simple est d’une composition incroyable. Un véritable tour de force avec ses différents degrés de lectures et interprétations multiples. Les auteurs ont-ils voulu illustrer le fossé entre les générations ? Entre monde rural et vaste monde ? Entre infiniment banal et totalement inimaginable ? Allégorie d’un monde de plus en plus clivé ? Il y a tant d’interprétations possibles que j’ai le souffle coupé d’une telle prouesse. Il nous indique en tout cas la cécité ambiante et l’incapacité pour les humains à regarder le spectacle du monde de la même manière. Ce qui le rend d’ailleurs si passionnant.
On ne peut décider d’ailleurs qui a tort, qui a raison. A moins que ce que Grand-père appelle « le miracle de la nature » (le temps des petits pois) soit finalement la vraie chose importante à préserver quoi qu’il arrive ? Grand-père ne s’est jamais senti aussi épanoui qu’en jardinant, comme si la vie toute entière était concentrée là. Et que rien ne devrait jamais interrompre ce « miracle ». Même une attaque extra-terrestre au nez (qu’il a très long) et à la moustache du vieil homme. Au lecteur de décider… Une chose est sûre, le dilemme dans lequel il se trouve à travers les yeux du petit garçon le rendra hilare… On ne peut en effet que rire de cette situation cocasse, pleine de foutraqueries, de l’aveuglement du vieil homme.
La vie n’est-elle finalement qu’une vaste farce ? C’est ce que semble nous dire ce petit album qui n’ayant l’air de rien, nous dit tout. En tout cas tellement de choses qu’on se sent tout petits devant. Certains auteurs jeunesse créent des chefs d’œuvre. Qu’ils en soient ici remerciés car avec leur poésie, leur grain de folie, leurs mensonges qui disent la vérité, ils nous émerveillent et surtout ils nous réveillent. Ces aoûtiens nous disent au moins une chose : le monde est source de questionnements infinis.
Comment arrive-ton à dire tout ça, en si peu de mots, en si peu d’images ? Olivier Douzou et Frédérique Bertrand réalisent un pur bijou. Un album bizarroïde, drôle, philosophique aussi qui nous donne envie de nous rouler de rire dans le gazon fraîchement tondu avec Jean-Michel le mouton et Canard le canard, d’hurler avec les oies, de se faire peur comme dans un film noir ou alors de nous allonger les doigts de pieds en éventail dans le gazon à admirer de tout près le velouté des haricots ou caresser la peau des courgettes en train de pousser. Après tout, c’est les vacances, nulle obligation de choisir car Les aoûtiens, c’est un peu tout ça… l’invasion inexpliquée d’un vaste bazar dans nos vies minuscules. Jusque dans nos tomates.
Le site d’Olivier Douzou
Le site de Frédérique Bertrand
Les aoûtiens
Olivier Douzou, ill. Frédérique Bertrand
44 p., le Rouergue, 16,50 €
(dès 4 ans)
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