Une bande de lycéens expérimentent l’aventure de la grève. Mathieu Pierloot, jeune enseignant de Bruxelles, dresse le portrait d’une jeunesse bien d’aujourd’hui, ses amitiés, ses combats, ses amours. Attention auteur à suivre.
« C’est vrai que je n’étais pas la joie de vivre en personne. Je m’estimais toutefois doté d’un humour savoureusement décalé, lequel s’accordait parfaitement à mon physique de binoclard rachitique ; l’ensemble conférait à ma personne (du moins, je me plaisais à le croire.) le charme suave d’un Woody Allen de province. Je n’avais peut-être pas les muscles saillants, mais j’avais écouté plus de disques et lu plus de livres que la plupart des gens durant toute leur vie. Comme tous les moches, je surinvestissais mon intellect. Dans un monde de types baraqués en boxer blanc, on fait ce qu’on peut pour exister…»
Une fois n’est pas coutume, débutons la rentrée par… une grève. Je sais, ça ne me ressemble pas ! Mais le texte court de ce jeune auteur m’a séduite. Parce qu’il met en scène des lycéens bien d’aujourd’hui, et surtout parce qu’il parle joliment des premières fois. Premiers engagements et élans de solidarité, premières indignations, premières grandes amitiés, premières manifestations et, bien sûr, premières amours.
Antoine est lycéen dans une ex-ville minière : « une foutue ville, l’endroit le plus déprimant du monde. Un habitant sur cinq était au chômage, les quatre autres tiraient la tronche. » Parmi ses amis, ce pessimiste raisonnable et romantique avéré ferait plutôt figure d’Ovni. Prenez Mehdi, son meilleur pote depuis l’école Primaire. Lui est déraisonnablement obsédé par les filles (en atteste son répondeur : Si vous possédez un bonnet C, laissez un message. Dans le cas contraire, adressez-vous à ma secrétaire.) Il y a aussi son petit frère qui arrive à l’âge bête et qu’il ne reconnaît plus… La mère d’Antoine élève seule ses deux garçons et travaille à la Poste. Entre Antoine et elle, plane une tendresse sans grande communication « Il y a des choses qu’il vaut mieux garder pour soi. C’est à cela que servent les silences.» Et puis il y a Hannah. Celle qui reste bloquée dans ses pensées depuis le CM1 et auprès de qui il n’a jamais osé se déclarer.
La nouvelle est tombée brutalement, le gouvernement va supprimer 3000 postes de profs de l’Education nationale (toute ressemblance avec la réalité…) entraînant de facto une grève du corps enseignant du lycée. Pour Antoine, Alice, Hannah, Mehdi et les autres, cette mesure est intolérable. La diminution des profs, c’est leur propre avenir qui est clairement remis en question. Les lycéens se retrouvent au bar le Potemkine pour décider de l’action à mener. La volcanique Alice, entraînée par Fred, le meneur, convainc l’assemblée. Ce sera donc la grève.
En une petite semaine, collégiens et lycéens débraient. La petite bande se retrouve tous les matins. Et le Potemkine fait figure de joyeux QG où l’on commente la presse et où les bières coulent à flot dès 10h du matin. Les banderoles se fabriquent, les slogans s’affinent, et les voilà tous dans la rue.
A observer cette première manif, elle tiendrait plus de la fête foraine que du combat politique : sourires hilares, enthousiasmes des matins qui chantent et semi drague au programme mais lorsqu’une brique vole au-dessus des manifestants, le ton change. Les coups de matraques des CRS se déchaînent et le cortège se disperse à la vitesse de l’éclair tandis qu’Antoine s’échappe avec Hannah.
On suivra leurs errances, leurs illusions et leurs doutes au travers des actions, des communiqués, des récupérations syndicales, des tentatives d’en découdre et de la lassitude qui finit toujours par gagner.
Sur fond d’un conflit qui se déroule bien au-dessus d’eux, la petite bande tentera d’y mettre malgré tout une patte plus créative. Au fil des événements, les personnalités se révèlent : les amours éphémères et surtout la fraternité. Car à l’épreuve de la grève, le clan s’est soudé. C’est bien cela la jolie force du livre. Mathieu Pierloot dépeint une jeunesse généreuse et montre que la réussite du collectif ne se joue pas forcément là où elle était née, dans la revendication, mais dans la bienveillance et l’amitié, belle et solide comme un roc.
En grève !
Mathieu Pierloot
Medium, l’école des loisirs, 128 pages,
12,80 €
(dès 13 ans)
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