Allez, une fois n’est pas coutume, à quelques jours du 8 mars, si on parlait aux filles ? Ou plutôt des filles. Dans A ma source gardée, Madeline Roth chuchote à notre oreille la découverte de l’amour par une adolescente. Un roman intimiste et fort comme un coup de poing dans le ventre, autant que l’était celui de Jeanne Benameur, Pas assez pour faire une femme. Elisabeth Brami, elle, a choisi de nous parler des mots. Dans son album Le Zizi des mots, elle débusque avec humour notre vocabulaire… un poil sexiste.
« J’ai froid – et puis moi je croyais qu’il allait venir et ça serait comme dans les films,
il dirait même pas un mot, juste il prendrait ma main et il m’emmènerait avec lui,
là en général y a une musique qui vous arrache des larmes,
des trucs avec un piano ou un violon – mais il ne vient pas. (…)
J’arrive pas trop à savoir. Ce qu’on fait des rêves quand ça devient moche. »
Pour être franche, ce livre m’a bouleversée. Rares sont les romans pour ados qui parlent d’amour et de la découverte du plaisir de manière aussi juste, intimiste. Belle.
Belle, son héroïne l’est à tout moment. Poignante aussi dans son exploration de l’amour, son regard posé sur l’autre, sa capacité à vivre l’instant lumineux autant qu’à traverser le revers de l’amour non partagé et apprendre, seule, à regarder cette souffrance-là en face.
L’autre c’est Lucas. Un garçon qu’elle a rencontré en vacances, car chaque année, Jeanne part à la montagne chez sa grand-mère. Elle y retrouve sa bande de l’été : Tom, Julie, Chloé, Baptiste et le nouveau, Lucas. La montagne, les balades à moto, les bals, le tourbillon grisant de l’oisiveté… Cette toute jeune liberté accorde ce qu’il faut d’air vital, révèle un autre soi. C’est une histoire d’amitié inconditionnelle entre tous. Sauf qu’avec Lucas c’est l’amitié le jour et l’amour fou la nuit.
« On avait fait le tour des mots. Je crois.
Ma peau réclamait sa peau, à présent.
Ca devait faire un boucan énorme. »
Jeanne glisse peu à peu dans une double vie. Il y a les journées à six, la bande inséparable, et il y a les nuits. Blanches. Intenses. La découverte de l’amour, le pur bonheur des corps.
Madeline Roth trouve les mots et le ton, la retenue, la juste distance et l’intensité aussi pour montrer le grand mystère de l’appel du corps quand l’amour « vrai » est là. Jeanne aime pour la première fois. Et son regard sur ce moment-là parle à toutes les filles.
« Avant Lucas, il me semblait qu’on me prenait quelque chose. J’étais d’accord pour le donner, ce quelque chose, mais ça n’enlevait rien à ce sentiment-là : quelqu’un entrait en moi, avançait dedans, et ressortait. Je n’avais pas lutté, je n’avais rien donné : on me l’avait pris. »
Dans une langue hachée, qui cherche dans les souvenirs, comme des flashs, Jeanne explore au plus près la façon dont ils se sont aimés, en harmonie totale, sans pour autant rien connaître des sentiments de Lucas.
« J’étais sûre de l’aimer. Mais lui s’il m’aimait, ça, je ne le savais pas.
Enfin si, il m’aimait, je pensais qu’il m’aimait, mais qu’il fallait juste lui laisser ce temps, là. (…)
Ce temps d’aller fouiller dans son cœur. Quand on l’ouvre.
Quand on accepte de l’ouvrir, de regarder dedans, sans avoir peur. »
Le roman commence l’été d’après la rencontre, l’été d’après l’amour. Lorsque Jeanne revient et qu’elle découvre brutalement la réponse à sa question. En filigrane, il y a cet enfant qu’elle a décidé de ne pas avoir et qui restera un silence. C’est un très court texte, un monologue intense, magistral, qu’on lit d’une traite. Un texte que l’on a envie de garder au plus près de soi. Comme l’indique si justement son titre.
A ma source gardée, par Madeline Roth
60 p. Thierry Magnier, 7,20 €
(dès 13 ans)
Dans ce même registre, j’avais aimé le roman de Jeanne Benameur Pas assez pour faire une femme, un court roman pudique sur la révélation d’une jeune femme à elle-même.
La romancière y met son héroïne Judith à nue, comme pour mieux nous en montrer la mutation : celle de la découverte de l’amour, des corps, mais surtout le démantèlement du carcan moral du début des années soixante-dix. Cette jeune étudiante en philo, issue de la bourgeoisie provinciale s’abandonne dans les bras d’Alain, un étudiant qui a pris la tête des mouvements grévistes à la fac et qui fascine Judith. Il lui parle de sa lutte, des auteurs, des poètes qu’elle doit lire : « Ce que m’ouvre ce garçon, c’est un territoire infini à l’intérieur de moi ». A mesure qu’elle se révèle, Judith la gentille, la sérieuse, la discrète, s’engage. Exorcisant les démons de son enfance, elle deviendra le porte-parole des femmes – à commencer par sa sœur et sa mère – soumises à la tyrannie des hommes. Une voix de l’intime, au-delà d’un éveil à la conscience, un texte qui nous fait « prendre force ».
(voir ma chronique dans Lire, octobre 2013)
Pas assez pour faire une femme, par Jeanne Benameur
92 p. Thierry Magnier, 12,80 €
(dès 13 ans)
Pour finir si on se penchait sur quelque chose de plus léger. Vous prendrez bien un peu de vocabulaire ?
Voici une petite curiosité linguistique et militante… Cet album nous interpelle sur le sexe des mots. Elisabeth Brami, aime battre froid tous les préjugés ! Dans son précédent Enfants cherchent parents trop bien (pas sérieux s’abstenir), elle dénonçait avec humour nos travers de parents.
Dans son nouvel album, elle débusque le genre des mots. Si le genre masculin, on le sait prédomine dans la langue française, l’auteur de La Déclaration du droit des filles et de La Déclaration du droit des garçons constate que le masculin désigne souvent un humain lorsque son pendant féminin aurait tendance à être employé pour désigner un objet voire un aliment.
Par exemple : si « Un Griot » désigne un conteur africain, « Une griotte », elle, désigne un fruit. Une histoire qui finit en queues de cerises donc. Machos les mots ? Malheureux hasard ?
Elisabeth Brami en rit, mais tout de même, ça interpelle ! Voyez plutôt.
Quand « Un Tribun » désigne un officier supérieur de la légion romaine, « Une Tribune » désigne plutôt le lieu où se réunissent des supporters.
Si « Un Glacier » désigne un marchand de glaces, « Une Glacière » désigne l’objet qui maintient les aliments au frais. Chercherait-on à refroidir les relations hommes/femmes ?… Bon, allez Elisabeth, on ne lâche rien !
J’ai beau me creuser les méninges pour trouver des contre-exemples et me faire l’avocate du diable… Tiens, tiens « Une Avocate » est une femme et « Un Avocat » est un fruit ! Oui mais l’avocat est aussi un homme qui peut plaide la cause des femmes…hm hm.
« Une Mendiante » et « Un Mendiant » – mais ce n’est pas que du gâteau…
« Une Secrétaire » et « Un Secrétaire » ? … Ma recherche fait flop.
N’hésitez pas à me suggérer des cas inverses si vous en trouvez, hein, le débat reste ouvert !
Il y a aussi des mots qui n’existent qu’au masculin : un bourreau ? Mais là je m’égare, je vais laisser Elisabeth Brami réfléchir à un tome 2.
Le zizi des mots, par Elisabeth Brami, illustrations de Fred L.
éd. Talents hauts, 12,90 €
(dès 7 ans)
[…] sélection de romans ados (sur le passage des filles à l’âge adulte) et album jeunesse par Nathalie Riché, qui vaut mieux que son titre (« parlons littérature entre […]