Quand Madeline Roth scrute les jeunes âmes, c’est fort, un brin dérangeant mais juste. Tant que mon cœur bat, un recueil de deux textes courts pose des couleurs et des sensations sur la violence des premières amours, quand celles-ci tournent court.
Bastien regarde par la fenêtre. Les cerisiers commencent à fleurir. Tout lui dit de ne pas revenir ici. Mais il sait qu’il reviendra. Demain. Dans cette chambre, au dernier étage, au bout du couloir, puisqu’il y a elle.
Elle qui ne dit rien. Elle qui pleure. Qui ne sait plus parler. Qui respire à peine. Qui a peur des gestes brusques. Qui ne supporte pas qu’on la regarde. Elle qui fuit.
Madeline Roth sait comme personne parler de l’amour naissant chez les ados. La violence d’un premier amour, les ravages qu’il peut faire. C’est en sculptrice de l’âme qu’elle parle, avec ses tripes, avec pudeur et empathie. Elle m’avait scotchée avec son premier roman, A ma source gardée, paru chez Thierry Magnier en 2015, la revoilà toujours plus vibrante avec Tant que mon cœur bat, deux courts textes de la même teneur.
Dans la première nouvelle, Elle une marionnette, Madeline Roth peint l’emprise d’un premier amour. Esra a tout juste quinze ans lorsqu’elle rencontre dans un bar Antoine, de quinze ans son aîné. Il lui fait découvrir de grands écrivains, la guide, lui écrit des lettres chaque jour, l’aime. Comment lui résister ? Il est tout. Esra découvre avec lui qu’elle est femme. Elle fait l’expérience du désir, des corps, de l’autre.
Et puis il y a Bastien, l’ami du lycée. Lui aussi est amoureux d’elle mais, entre eux, les silences se contentent d’en dire long. Et peu à peu, Bastien regarde son amie sombrer devant cet amour pour Antoine trop grand pour elle, un amour ogre qui la dévore tout entière. Un amour sacrificiel, un amour malade, car Antoine est acariâtre, égoïste, intransigeant, violent.
« Elle était à mille lieues des histoires que vivaient les filles de son âge. Elle, elle vivait une histoire d’amour. Que dans cette histoire, il y ait des cris, des larmes, elle avait fini par se dire que c’était ça, une histoire d’amour. »
Et voilà que la fragile Esra se laisse modeler à la pâte d’amour d’Antoine, à sa patte d’ours aussi qui griffe, l’écorche, la déstabilise jusqu’à se perdre, à ne plus savoir ce qui est vrai ou pas, juste ou pas, jusqu’à frôler la folie.
Bastien assiste au désastre, au premier rang. Et c’est toute la subtilité de Madeline Roth de savoir montrer aussi le regard aimant et juste de l’ami fidèle, celui qui aime mais se taira, respectant le chaos désiré, celui qui sera toujours là pour tenir la main d’Esra. En espérant qu’elle ne la lâche pas.
Madeline Roth décrit au plus juste, au plus près, ce corps à cœur d’un être sous emprise, d’une jeune fille frêle prête à se donner tout entière comme dans la chanson de Barbara, L’Amoureuse : « Celle qui tendait les bras, Celle qui aimait si fort, Mais qui ne le savait pas, Qu’aimer encore et encore, Ça vous brûle, ça vous damne… »
Sans jugement, avec une belle pudeur, la romancière raconte cette bulle, ce piège enchanté dont les jeunes filles peuvent être les proies, quand l’amour vampire dévitalise, quand l’amour asphyxie au point d’effacer tout le reste, ne laissant plus une once d’air pour respirer. Un amour comme une noyade.
Ce texte, d’une grande beauté mélancolique, n’épargne pas et fait écho à la part d’autodestruction des amours adolescentes. Qui n’a jamais été blessé par elles ? Le lecteur comprend dans quels bras broyeurs Esra s’est jetée et la main tendue qu’il faudrait, parfois, savoir saisir. Cette main, c’est celle de Bastien qui aide son amie tout en posant la bonne question : « Est-ce qu’aimer quelqu’un peut le sauver ? » Madeline Roth parle en maîtrise absolue de l’irraison de l’amour quand tous les signaux sont au rouge et qu’on s’y laisse glisser malgré tout, baissant toutes les gardes. C’est aussi l’apprentissage de la deuxième nouvelle, Et grandir maintenant, celui de l’amour cruel, dont on ne revient pas.
Tant que mon cœur bat
Madeline Roth
94 p. éd. Thierry Magnier, 9,50 €
A partir de 14 ans
Agathe dit
Je me reconnais tellement dans cette description !
Moi aussi j’ai vécu un de ces amour destructeur en pleine adolescence, et je ne sais pas par quel miracle je ne suis pas devenue folle….
Une dizaine d’année après, c’est encore frais comme si c’était hier…
Merci pour ce partage, je vais aller lire ces nouvelles.