Jessie Magana retrace dans l’excellente collection « Les Grandes Vies », la vie riche et engagée de Gisèle Halimi, avocate qui fit avancer à grands pas la cause féminine au XXe siècle.
« Avocate irrespectueuse. Voilà comment se définissait Gisèle Halimi. Sa vocation d’avocate est née dans son enfance. Très tôt, elle est confrontée à toutes sortes d’injustices : celle d’être une fille qui n’a pas les mêmes droits que les garçons, et aussi celles qui sévissent en Tunisie, alors une colonie française. Elle n’aura de cesse de combattre. Gisèle n’est pas une avocate comme les autres. Elle ne se contente pas de faire appliquer le droit : elle parvient à faire changer les lois quand elle les considère comme injustes… »
C’est une grande figure de la défense du droit, des libertés et de la condition des femmes que raconte ici Jessie Magana. Une figure que toutes les petites filles devraient connaître, autant que Simone Veil, car elle fut l’une des principales artisanes de l’avancée de la cause des femmes de son époque.
Rien ne la prédestinait à devenir une grande avocate parisienne, si ce n’est probablement une formidable intuition et une détermination de fer forgée durant son enfance.
La petite Gisèle Taïeb est née à Tunis, dans une société encore sous domination française et sous un patriarcat dur. Son père, déçu de pas avoir eu un garçon, cache sa naissance à ses amis plusieurs semaines. Être une fille, juive, dans un pays musulman et sous colonisation pourrait créer pas mal de handicaps… Ce sera sa force. Gisèle déborde d’énergie, elle pratique des sports de garçons, lit tard le soir à la lampe de poche. Elle a soif d’apprendre et d’inventer sa vie. La petite rebelle est capable de faire une grève de la faim pour étudier plutôt que de participer aux tâches ménagères. Bref, elle sait ce qu’elle veut, la petite Gisèle !
Arrivée à Paris grâce à une bourse, elle se lance dans les études de philosophie et de droit et obtient son diplôme d’avocate. Elle se bat d’abord pour faire respecter les droits des militants du FLN pendant la guerre d’Algérie et défendra Djamila Boupacha, une poseuse de bombe arrêtée et torturée par les militaires. Simone de Beauvoir appuie sa démarche. Naturellement, elle se lance alors dans la défense de la cause des femmes, à commencer par sensibiliser l’opinion pour faire légaliser l’avortement.
Elle signera en 1971 avec d’autres femmes célèbres, dont Catherine Deneuve, Delphine Seyrig ou encore Agnès Varda le manifeste surnommé « Manifeste des 343 salopes » dans lequel celles-ci déclarent avoir déjà avorté. Dès lors, Gisèle ira jusqu’au bout de ses combats : loi anti-avortement, viol désormais considéré comme un crime… Elle entrera même à l’Assemblée nationale en 1981, une autre manière de poursuivre ses combats avant de se lancer dans une carrière internationale jusqu’à soutenir « la clause de l’Européenne la plus favorisée », afin de faire appliquer la loi la plus favorable pour les femmes partout en Europe. Elle porte ses combats hors des frontières.
C’est un portrait très juste et très accessible que retrace Jessie Magana, auteure sensibilisée aux combats féministes, joliment illustré par Eloïse Heinzer, et qui permet de faire prendre conscience aux plus jeunes que chaque femme a un rôle à jouer si elle le souhaite. Il y a sans doute plusieurs clés dans la vie de Gisèle Halimi dont certaines sont à chercher au plus profond de l’enfance. Son combat pour l’injustice prend probablement source dans le décès prématuré de son petit frère, mort d’un accident sous ses yeux, et dans la manière dont elle a vu autour d’elle les femmes traitées par leur mari, les hommes et les institutions dans cette Tunisie coloniale. Elle, qu’on a voulu marier de force à l’âge de quinze ans. L’injustice, elle l’a vécue dans sa chair…
« Ne vous résignez jamais ! » scandait la grande féministe. C’est au nom de ce slogan qu’il est crucial de ne pas oublier Gisèle Halimi, de connaître son héritage afin de continuer à porter haut et fort ses valeurs et de faire évoluer encore les droits toujours fragiles des femmes. L’engagement est l’affaire de toutes à une époque où la vigilance est de mise, alors qu’une loi anti-IVG est en passe d’être rétablie par la Cour Suprême aux Etats-Unis, sensée être la première puissance démocratique du monde.
« Soyez dans la conquête, nous souffle de loin Gisèle, ensemble les femmes peuvent soulever des montagnes ». Au fond de chaque petite fille continue de souffler le combat de la petite Gisèle, le nôtre.
Lire un extrait ici
Gisèle Halimi
Jessie Magana, ill. Eloïse Heinzer
64 p., coll. Les grandes vies, Gallimard Jeunesse, 9,90 €
(dès 8 ans)
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